En 1998, un cycle de conférences a eu lieu au musée du Louvre. Jean Galard et Matthias Waschek, du service culturel du musée, en ont fait un livre, en réunissant les différentes allocutions prononcées à cette occasion. Le thème commun était Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ? Il parait simple de dire si une œuvre relève du chef-d’œuvre ou non. Simple ou bien très compliqué. N’importe qui, dans n’importe quelle circonstance, peut-il décréter qu’une œuvre fait partie de la catégorie du chef-d’œuvre ? Au début des « temps modernes », c’était l’aboutissement de la formation artisanale d’un élève, le morceau de réception dans une quelconque guilde ou académie, bref, la preuve de l’excellence. Martina Hansmann s’attache à en retrouver les antécédents italiens à Florence. Elle note que si le concept a été forgé à cette époque, le terme de chef-d’œuvre ne devient concevable qu’en tant que consensus supranational.
Suivant le cours de l’histoire, Hans Belting dans un texte lumineux, pose un problème crucial : « l’Europe moderne (…) n’a-t-elle pas contribué à l’élaboration de ce mythe moderne de l’art de peur de perdre ses repères ? » Revenant sur l’origine du mot et de la notion, il souligne que la pratique et l’utopie de l’art étaient nettement distinctes du temps de Vasari ou de Roger de Piles. Il pose ainsi que la légende du chef-d’œuvre commence avec la naissance du musée moderne, l’art étant devenu un art muséal, donc un art du passé. Posant le paradoxe à son terme, Hans Belting soutient que même les avant-gardes du xxe siècle ont maintenu vivant ce mythe en l’attaquant –songeons aux ready-made et autres parodies dadaïstes. Ultime charge, Hans Belting cite Balzac par la voix de Frenhofer, le peintre du Chef-d’œuvre inconnu : « Il faut de la foi, de la foi dans l’art. »
Tandis que Matthias Waschek rapporte la notion de chef-d’œuvre à l’histoire culturelle, Werner Spies retrace, dans une étude exhaustive, la carrière du Guernica de Picasso, et Jean Galard dresse le bilan de cette question dans le champ de l’esthétique. Arthur Danto s’attache au travers de l’étude du Masterpiece de Roy Lichtenstein à cerner l’idée de chef-d’œuvre dans l’art contemporain. Avec des termes tels que « esthétique périmée » ou « concept appauvri », Arthur Danto se place dans la position du philosophe résolument de son époque. Revenant sur une des problématiques majeure du siècle passé, il s’interroge sur la réduction des frontières entre grand art et art populaire. Roy Lichtenstein étant l’exemple parfait puisqu’il utilise l’imagerie de la bande dessinée. Au terme d’une analyse brillante, Arthur Danto note que chaque œuvre majeure de l’art moderne a la tâche de reconnaître philosophiquement ce qu’est l’art. Et de conclure : « Nous sommes, à l’époque post-moderne, affranchis de l’auto-analyse et, en conséquence, à nouveau capable de renouer avec la grande tradition du chef-d’œuvre. » Sur une question qui de prime abord pouvait paraître bien naïve, ce livre, grâce à la richesse de ses perspectives et sa cohérence, apporte quelques réponses.