Près de la petite ville d’Eichstätt, dominant la vallée de l’Altmühl, se dresse un château qui fut habité, au début du XVIIe siècle, par le prince-évêque Johann Konrad von Gemmingen. Cet amoureux de la nature entreprit de transformer les terrains qui entouraient le château en une suite de jardins accueillant animaux et plantes (dont certaines provenaient de la région méditerranéenne, d’Asie, d’Amérique ou d’Afrique). L’intérieur du château fut également aménagé pour servir sa passion : la conduite d’eau qui allait arroser les jardins passait par sa chambre, afin de lui permettre d’entendre l’eau couler, les murs de l’escalier qui menait au jardin étaient décorés des dessins des plantes, ses fenêtres donnaient sur quelques arbres en pot choisis pour accueillir les oiseaux et sur plusieurs grands enclos qui abritaient, en semi-liberté, une grande variété d’animaux.
Non content d’avoir ainsi créé un jardin à l’image du jardin idéal de la Renaissance, à l’image donc d’un onirique jardin d’Eden, le prince-évêque chargea Basilius Besler, pharmacien de Nuremberg, d’établir un ouvrage pour répertorier et représenter tous ses végétaux. L’herbier de Besler, dont une partie du Jardin d’Eichstätt est l’exacte reproduction, comprend les illustrations de 1 100 plantes différentes, réalisées à partir de 367 gravures sur cuivre, qui furent ensuite peintes et classées selon leur époque de floraison et leur fréquence saisonnière. L’ouvrage, qui demanda plusieurs années de travail, fut édité au cours du XVIIe siècle à 300 exemplaires. Ceux qui étaient mis en couleurs coûtaient environ le prix d’une petite maison. Ils furent d’autant plus recherchés que cet herbier était le premier dans l’histoire du genre à représenter les plantes grandeur nature. Seul bémol, certains naturalistes reprochèrent à Besler d’avoir adopté un classement plus esthétique que scientifique. Peu nous importe aujourd’hui, où l’ouvrage nous permet surtout de suivre, comme si nous nous promenions dans le jardin d’autrefois, le fil des saisons et des végétaux qu’elles animent.
Outre les planches, qui rappellent et dépassent, en particulier grâce à la couleur, celles de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, et qui offrent, grâce à la précision des dessins, autant de réalisme qu’une photographie et infiniment plus de plaisir, Le Jardin d’Eichstätt comprend une partie, que les éditions Taschen ont eu l’excellente idée de faire réaliser par un historien de la pharmacopée, où est décrite chacune des plantes représentées, sous le triple aspect symbolique, historique et botanique. Descriptions aussi enrichissantes pour l’amoureux de nature que pour l’amateur d’art. Elles permettent en effet de décrypter le sens caché de la présence de tel ou tel végétal dans les peintures de l’époque, où ils étaient presque systématiquement utilisés pour renvoyer à un symbole. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, celui du fraisier : « ses fleurs blanches sont l’expression des joies de la Vierge Marie, mais les fruits rouges, pareilles à des gouttes de sang tombant à terre, représentent les souffrances ressenties par son fils pendant la passion… les feuilles trifoliées évoquent la Trinité et les cinq pétales, les plaies du Christ. »
On l’aura compris : sans même évoquer le prix du livre, exceptionnel au regard de sa taille et de sa qualité, Le Jardin d’Eichstätt, par la précision de ses reproductions comme par l’intelligence de sa conception, peut être également considéré comme un modèle pour tous les éditeurs de beaux livres et de livres d’art.