Jonathan Swift conseillait aux auteurs débutants de se cultiver par la lecture des Mélanges, des florilèges et des courts volumes pour piocher avec légèreté la nourriture intellectuelle propice à un harmonieux développement cérébral. Il semble que les six auteurs de ce volume aient suivi et appliqué ce conseil. La Tortue d’Eschyle et autres morts stupides est une encyclopédie miniature à propos d’un sujet peu traité : l’idiotie dans la mort des hommes célèbres. Elle démontre qu’aussi intelligent soit-on, la Faucheuse semble n’avoir pas d’égard pour les qualités d’esprit. Qu’on s’appelle Barthes renversé par une camionnette après une entrevue avec Mitterrand, ou Anton Webern, fusillé par un sniper alcoolique alors qu’il prenait une pause-cigare une nuit de couvre-feu, la mort frappe, aussi ridicule que tragique, et renvoie les grands hommes, aussi géniaux soient-ils, à la rubrique des fait divers.
Dans ce livre, donc, on meurt dans des circonstances étranges, sur un banc en clochard, encorné par un buffle, explosé par une fusée ou décapité par une hélice. L’érudition des auteurs est riche d’anecdotes et, si on retrouve les incontournables célébrités, ceux dont le public a retenu les causes du trépas (Claude François, Gaudi ou Hendrix), d’illustres méconnus concourent aussi pour obtenir la palme de « l’art de caner ». Ce livre illustré de dessins noir et blanc s’offre ainsi à picorer : on peut le prendre au hasard, s’éplorer, se réjouir ou les deux à la fois, tant ce mélange d’humour noir et de farce laisse dans une humeur indécise. Bien que le propos soit surtout de divertir, une légère émotion naît parfois devant l’absurdité des faits racontés. Le principe d’accumulation et le fait qu’on sache à chaque notice comment ça va (mal) finir n’empêchent pas les surprises, l’étonnement devant la variété des situations. Un livre sympathique et surprenant, en somme, à ranger à côté du Dictionnaire des Assassins et des meurtriers (dirigé par François Angelier et Stéphane Bou, chez Calmann-Lévy), pour se préparer aux pires accidents. Quant aux vivants, on ne peut que leur conseiller, en attendant un décès point trop idiot, de méditer la formule d’Hart Crane : « La grande ruse de l’existence est de savoir dégager l’éternité dans ce qui passe ».