L’exposition 1900 qui s’est déroulée au Grand Palais affirmait d’emblée un propos démonstratif : embrasser d’un regard rétrospectif, un siècle exactement plus tard, l’art au passage du XIXe au XXe siècle, et y voir la quête d’une synthèse des arts dominée par le souci de replacer l’individu désagrégé par les mutations vécues au cours du siècle écoulé dans un cadre de vie harmonieux et adapté à son rythme propre. Tous les arts sont conviés à participer à ce vaste projet : peinture, sculpture, arts décoratifs, architecture, artisanat. Contre l’industrialisation des villes, les formes retrouvent les mouvements de la nature. Contre l’éclectisme des décorations intérieures, s’affirme la volonté d’imposer un style unique et épuré. Mais ce mouvement est surtout, et très logiquement, celui des arts décoratifs et de l’architecture. La peinture reste très proche des symbolistes, dont elle conserve le graphisme, mais remplace les atmosphères inquiétantes et décadentes du XIXe par l’image d’une nature idyllique où l’homme se ressource ou par l’exaltation des gloires nationales, révélant ainsi l’aspect plus régressif d’un art souvent nationaliste.
Le catalogue de l’exposition présente l’intérêt de développer à travers une grande variété d’études l’idée centrale et directrice dont l’exposition n’était qu’une illustration, ce qui faisait sa faiblesse, les œuvres exposées étant loin d’avoir toutes une grande valeur esthétique. Mais, bien reproduites et insérées avec intelligence dans un texte riche, ces dernières en constituent l’indispensable complément. Les nombreuses contributions s’attachent ainsi à dresser le tableau d’une époque, d’un moment plutôt, en raison de sa brièveté, à travers des études synthétiques ou plus particulières, multipliant les points de vue historiques, scientifiques et artistiques (dans toutes ses branches, de la photographie à la musique en passant par l’édition, la joaillerie, la mode, l’ébénisterie, etc.). Cette variété fait la richesse d’un ouvrage dont on pourra néanmoins regretter la prétention historiquement totalisante, et quelques absences.
Fortement axé sur la démonstration de l’idée d’une unité fondée sur la recherche d’une harmonie adaptée à l’individu, l’ouvrage comme l’exposition apparaissent finalement davantage comme la présentation d’un mouvement -l’art nouveau- que d’une époque artistique. Or, tant le titre de l’ouvrage que son introduction laissent penser qu’il n’y avait pas d’autre art que l’art nouveau en 1900, ce qui évidemment constitue une erreur. Certaines œuvres se distinguent d’ailleurs de l’ensemble et montrent des voies peu exploitées : Odilon Redon, dont il n’est montré que quelques panneaux décoratifs, Rodin, Camille Claudel, Munch, Picasso et Matisse créent des œuvres qui s’écartent du propos dominant des arts décoratifs et, loin de vouloir rendre artificiellement à l’individu une harmonie souvent naïvement conçue, en soulignent la détresse et, en ce qui concerne les arts, cherchent de nouvelles expressions plutôt qu’un retour à des sources douteuses. Complet sur le mouvement, on pourra donc regretter que cet ouvrage ne le confronte pas plus avec ses contemporains et ne fasse pas preuve de plus de critiques vis-à-vis d’œuvres dont l’intérêt esthétique est parfois très faible et les implications idéologiques inquiétantes.
Ce choix rend d’autant plus regrettable l’absence presque totale des pays du Sud et singulièrement de la Catalogne, dont Barcelone est certainement, avec Vienne, la ville où l’art nouveau s’est développé avec le plus d’originalité. La place donnée aux pays du Nord, notamment scandinaves, est en revanche surdimensionnée au regard de l’intérêt des œuvres présentées.
L’exposition décevait en enfermant le spectateur dans des choix trop orientés. L’ouvrage reflète ce défaut, mais le rachète par le nombre et la diversité des études qu’il contient et la synthèse qu’il offre d’un mouvement artistique qui apparaît finalement comme une réaction aux mutations d’un siècle finissant, dont la postérité gardera essentiellement l’effort des arts décoratifs dans la quête de la forme, poursuivie, par d’autres moyens, dans l’abstraction, et le souci d’une architecture adaptée à l’individu. L’entrée dans le XXe siècle, historiquement, sociologiquement ou artistiquement, est plus tardive de quelque dix ans, et les sources de ce tournant ne sont pas dans l’art nouveau mais chez les artistes qui, comme les impressionnistes ou Cézanne, ont cherché les expressions nouvelles d’un monde nouveau.