Il y a trois ans, Christopher Cook était pour la première fois publié en France : Voleurs oscillait entre policier et road movie, avec de faux airs de Pulp fiction ou de Tueurs nés, et reflétait une certaine Amérique, celle, désenchantée et désenchanteresse, d’un Faulkner ou d’un McCarthy. Après ce coup d’essai ludique et déjanté, il décidait de changer de genre sans changer de sujet : Bethlehem, Texas s’attache, en une dizaine de nouvelles, à décrire la vie ordinaire d’une petite ville texane. On découvre en profondeur les troubles, perversions et vicissitudes, souvent issus d’une foi fanatique et incontrôlable, qui caractérisent la plupart des habitants du lieu ; en disséquant les rouages qui animent l’existence de tous ces personnages, Cook propose un texte à la fois jubilatoire et terriblement cynique, la sanction d’un Texas profond poussant la religiosité à l’extrême et n’offrant d’autre alternative qu’un monde décomposé en une multitude de confréries fondamentalistes, fantastiquement inhumaines.
A Bethlehem, il n’y a rien. Au milieu des forêts, à la frontière entre Texas et Louisiane, la ville n’a « rien d’une métropole, c’est clair » : pour occuper les gens, il n’y a rien d’autre que la religion. « Une église pour chaque pâté de maisons. Dès que l’une d’elle atteignait la centaine de fidèles, ils se bagarraient entre eux comme s’il existait une masse critique au-delà de laquelle plus personne ne pouvait s’entendre et après ils formaient deux nouvelles congrégations. Pareils différends portaient, disait-on, sur des questions de doctrine. Mais si on écartait cette idée pour observer par en dessous, on découvrait un conflit entre individus et l’expression de la démocratie américaine ». Une présentation parfaite du contraste entre mode de vie religieux et american way of life, contraste des plus embarrassants lorsque se posent les questions de la charité et de la tolérance. Si Cook s’amuse à déstabiliser ce petit monde ancré dans ses principes et victime de ses propres contradictions, les portraits qu’il trace sont fidèles, sans caricature. On pénètre avec au cœur des foyers américains pour toucher du doigt la foi (poids de la faute, punition divine, honte, crainte du châtiment : tout y passe) ; parallèlement, son ordinaire corollaire d’intolérance, de fanatisme, de racisme et d’intégrisme transpire en permanence. Et quand Jésus apparaît dans une porte, on atteint des sommets d’hystérie collective ; la propriétaire des lieux, après avoir rassemblé le plus de monde possible autour de sa maison, finira par sombrer dans le péché en voyant son jardin ravagé par les foules en extase. Seuls quelques moments, aussi rares que beaux, tempèrent cette misère de l’esprit, notamment lorsque trois ouvriers rejoignent leur plateforme pétrolière le soir de Noël, ou lorsque la fille du concessionnaire Ford choisi de prêter aux pauvres, ébranlant les fondements d’un monde parfaitement ordonné. Et Dieu, dans tout ça ?
Avec une ironie mordante, Cook épingle des citoyens qu’il connaît trop bien : lui-même a grandi ici, au milieu des groupes religieux. Derrière la croyance aveugle et bornée, derrière les fausses promesses et les fausses vertus n’existent souvent qu’égoïsme et petitesse, peur et méfiance, syndromes tristement banals d’une société à la dérive. Après tout, « le président, il est croyant. Tous les élus au congrès, ils sont croyants. Les riches, ils vont dire qu’ils sont croyants. Tous les gens que tu rencontres dans la rue, dans le pays tout entier, ils vont te répondre : Pour sûr que je crois au Christ, et pas qu’un peu. Tous ces gens qui croient… Alors, comment ça se fait que la situation elle soit aussi catastrophique dans le pays ? ».