Un équilibre précaire pour une somme plutôt rondelette (16€). Un livre plombant dans sa manière de vouloir rester à tout prix léger. Un récit flanqué d’un argument de vente « sociétal », histoire de rester crédible. Bref, Paradis turquoise cède au diktat du « roman à pitch », avec une intrigue réduite au minimum cérébral pour pouvoir être racontée facilement par les journalistes. A savoir : Marcelin, 25 ans, obsédé par l’idée d’échapper au gouffre de l’anonymat, se met à assassiner à tour de bras des stars et des people du petit écran, voire un politique trop médiatique à son goût. Un peu court, direz-vous. Ferré réussit pourtant à en tirer 180 pages de mise à nu des blessures et humeurs de son anti-héros. Pour ne pas trop brusquer la bienséance, tout commence évidemment par les présentations : le portrait s’impose, triste et prévisible. Abreuvé d’illusions de gloire artistique et de culture cathodique, largué par son amie sous prétexte qu’il « manque d’endurance » (sic) et viré de son poste de présentateur météo, Marcelin est complètement paumé. « Seul avec sa main sous les draps », ajoute Ferré pour ceux qui n’auraient pas compris. Fier d’avoir un jour croisé Roger Vadim, Nana Mouskouri et « maître Vergès et Omar (m’a tuer) Raddad, deux autres célébrités », Marcelin souffrirait en fait d’un symptôme très « répandu dans l’Occident du troisième millénaire » : la « célébritose », néologisme qui confortera tout au long du roman la vision que se fait Ferré des dérives postmodernes. L’auteur joint aussi, à l’usage du lecteur, un glossaire détaillant en fin de livre les variantes et degrés de « célébritose » possibles. Soit. Mais ce qui pourrait à la rigueur faire office de point de départ honnête pour une courte pièce radiophonique ou théâtrale (deux univers dont Ferré est issu) ne prend plus dès qu’il s’agit de construire un roman.
La voie de la caricature choisie par Ferré pour décrire la chute de Marcelin, homme-marionnette tiraillé par ses idées fixes et par les discours des médias, n’est manifestement pas la bonne. Ressassante à force d’exposer un par un les clichés de son personnage, l’écriture joue à fond la carte de la neutralité, du constat froid émis à distance : elle s’y brûle les ailes, piégée par le formatage qu’elle comptait elle-même dénoncer. Au formatage des âmes (la cible) répond le formatage de l’écriture (ce livre) : retours incessants à la ligne, micro-récits isolés dans de courts chapitres, salves de phrases volontairement mièvres (« Les cheveux, ça excite Marcelin »). Façon caricature pour touristes de Montmartre, ce récit d’un tueur ordinaire bascule ainsi au bout d’une vingtaine de pages dans une platitude exemplaire. Le texte ne dit alors plus grand chose et peine à planter les stratégies d’assassinat mises en place par Marcelin, vengeur blasé et personnage aussi codifié qu’un héros de série B. Il aurait peut-être mieux valu que le récit dérive vraiment en même temps que son héros, quitte à verser radicalement dans le style Z, en version technicolor kitsch et assumée. Mais ballotté par l’espoir de théoriser correctement la « célébritose », Christophe Ferré néglige son intrigue, déjà bien fragile à l’origine. Pour égayer le tout, il s’égare en diverses explications pompeuses qui tentent de justifier le roman mais en laminent en fait définitivement le peu d’intérêt. Certaines digressions frôlent le ridicule : ainsi, cette prétendue « maladie du siècle » remonterait, selon Ferré, à un jeune raté de la Grèce antique baptisé Erostate, lequel aurait mit le feu au temple d’Ephèse pour se faire remarquer par ses pairs ! Tout est dit. Cette chronique sociologique, parfois sauvée de justesse par des traces d’humour noir, retombe aussitôt dans la lourdeur de l’auto-référence. Marcelin échoue à faire publier son propre roman, pourtant envoyé à… Flammarion. Un classique de la private joke, mi-potache mi-nombriliste. Et surtout sans intérêt. Moins drôle mais très parlant, l’exergue est à lui seul un must d’ambiguïté, de maladresse ou d’humour avorté, au choix : des déclarations de Richard Durn, (vrai) assassin des conseillers municipaux de Nanterre, y côtoient les mots du Don Quichotte de Cervantès. Il y a franchement de quoi s’inquiéter.