Après son triptyque romanesque (Les Bourreaux, Hémorroïdes, Agrandissement de l’asphalte, Balland, 2001), Christophe Chemin nous livre un texte composite, qui charrie dans une même coulée autobiographie, pamphlet, litanie en anglais et paroles de sa mère, lectrice scandalisée de ses précédents ouvrages. Le Roman est une bagnole qui roule bien est une réaction, plus épidermique que constructive, au parcours d’écrivain de Christophe Chemin. Questionnement sur soi comme pouvait l’être Nadja, questionnement sur le roman, ce livre intéresse surtout par la forme qu’il propose, avec ses didascalies, ses paroles mêlées, ses dessins naïfs et bruts qui illustrent le propos à la manière d’allégories trash et un peu puériles. Images inversées, qui mêlent viscères, fœtus, usines, micros et borborygmes de manière obsédante, au service d’un même propos de dénonciation et de déconstruction.
Christophe Chemin tient à ce qu’on nomme ses textes « romans », pourquoi pas. Le genre est suffisamment ouvert pour cela, et a toujours accueilli sans encombre les récits construits « en haine du roman ». Mais ce qui se propose ici comme chemin de traverse inédit se révèle être une autoroute bruyante et jonchée de clichés.
A la place de cette « bagnole qui roule bien » qu’est à ses yeux le roman contemporain, l’auteur ne nous offre qu’un pamphlet un peu rouillé, au ton digne de tous les tribuns de foire : « Ca sent, la littérature : la mort et la merde ». Les arguments avancés ne sont même plus cotés à l’Argus : souligner la soif de reconnaissance des écrivains, l’attitude consumériste et grégaire des lecteurs ou le travail de marketing mené par les maisons d’éditions, ce n’est guère qu’enfoncer des portes ouvertes, avec ou sans bagnole. La virulence de ce manifeste anti-littérature n’ouvre d’ailleurs sur aucune solution, aucune proposition si ce n’est, autre chemin balisé, celle de retrouver « la musique dans la matière idiote et anodine des mots, d’une phrase ». Le style saccadé du texte, ses phrases hachées menu qui passent le roman à la moulinette, ne réalisent d’ailleurs que partiellement ce programme, et de manière curieusement terne -loin de Radiohead, l’idéal prôné par l’auteur. Le lecteur n’a que la désagréable impression d’entendre une mobylette qui pétarade à la vue de grosses cylindrées : le Chemin tourne à l’impasse. Mais cette impasse est un cri sincère, qui file droit, sans souci du lecteur ni du qu’en-dira-t-on. Discours lancé dans le vide mais aussi vers la mère, celle qui a rejeté les romans précédents. Espoir de dialogue, espoir d’harmonie, qui se devine dans les photos en médaillons inversés encadrant le texte : au-delà de la harangue, ce Chemin-là vaut surtout par ce que ses bas-côtés laissent deviner d’ornières et de désirs en herbes folles.