Une Si douce fureur serait un livre agréable à lire, si sa légèreté et sa fluidité tenaient à autre chose qu’à sa vanité. Christian Authier, dans ce récit a priori entièrement autobiographique, veut nous entretenir d’une passion amoureuse brève, fulgurante, dont l’occurrence et l’échec relèvent typiquement de l’époque. Alors que le narrateur, écrivain et journaliste, vit une relation sérieuse avec Emmanuelle, il rencontre Valentine. Durant quelques jours d’absence de sa compagne officielle, il flirte avec cette jeune femme blonde, nerveuse, farouche et attachante. Le retour d’Emmanuelle coupe court à cet intermède adolescent, et les appels de Valentine demeurent sans réponse. Elle perdure dans la mémoire du narrateur comme un souvenir inexpugnable, si bien qu’une fois ramené au célibat, il tente de la retrouver par tous les moyens : pages blanches, Minitel, Internet… C’est finalement six ans plus tard, à l’occasion de la publication de son premier roman, où elle est évoquée, que Valentine reparaît, enchantant la vie du héros par son charme et ses textos, sans que cet amour ne parvienne hélas à dépasser le stade de l’ébauche tant nos deux personnages sont tributaires de leur époque désabusée, indépendante par défaut, pusillanime surtout, car terriblement précaire.
La qualité essentielle du roman, son adéquation remarquable avec l’époque, signe aussi son échec : Christian Authier ne parvenant pas à la dépasser, il n’en demeure lui-même qu’un symptôme. Son écriture du « moi » est celle d’un égotisme étriqué et de surface (voire de grande surface), et se résume à un catalogue de petites références culturelles, sociales ou mondaines : un pack identitaire snob bien comme il faut, avec pas mal de vanité, mais peu d’orgueil. On a droit à des analyses sur l’amour et les nouvelles technologies qui, pour n’être pas dénuées d’intérêt, ne sont pas très supérieurs à celles d’un article du Nouvel Obs. Les chapitres, constitués de courts paragraphes évocateurs qui entrecoupent la narration, sont un simple encens nostalgique voué à parfumer le texte ; la fragrance, hélas, est vraiment trop anecdotique. Ne se voulant ni romantique, ni cynique, ni enflammé, ni détaché, Authier rejoint aussi son époque par cette tiédeur qui n’apprécie qu’un mélange bien dosé de naïveté et de « réalisme ». Le propos sur l’amour moderne est lucide, mais sans la distance qui rendrait cette lucidité perçante. Ceci dit, c’est sociologiquement très juste… et atterrant : voilà une génération qui préfère mariner dans le fantasme ou la nostalgie plutôt que d’assumer l’idéal ou la réalité de l’amour, une génération dont les ruptures ressemblent à des fade out de fin de feuilleton, une génération qui ne se perd que munie de bouées gonflées de vide pour éviter de sombrer vraiment, dont les suicides semblent ne pouvoir être que ceux d’adolescentes anorexiques, dont les émois et les déchirures sont émoussés et presque inoffensifs, bref, une génération parfaitement anti-tragique d’hommes et de femmes qui ne savent plus ni aimer ni mourir. Forcément, c’est à peine s’il y a encore un intérêt à écrire sur cette population ; mettre en scène de tels fantômes réclame une plume d’acier et une perspective particulièrement originale, si l’on ne veut pas finir contaminé et publier, comme c’est le cas ici, une simple bluette spectrale. Une bluette qui témoigne, à sa manière, de l’époque et de son vide.