Toute révolution est un théâtre d’ombres. Le climat dans lequel baigna le Portugal, en ces mois d’avril et mai 1974, avait quelque chose d’irréel. Des personnages à l’humeur un peu folle croyaient au bonheur terrestre d’un pays porté par la fiction et le rêve (on dénombre presque autant d’habitants que de découvreurs -exilés volontaires ou involontaires- et de navigateurs dans ce pays). Il s’agissait de clôturer d’interminables guerres coloniales en Afrique Australe. Guerres qui laissèrent, hasard, « de profondes blessures psychologiques sur toute une génération ». Une poignée de capitaines félons y mettra donc un terme. Mais c’était sans compter sur la course au pouvoir qui se mettait déjà en place. Sans l’ordre -qui n’appartient qu’à lui- du Capital. Toute cette agitation pour en venir là, c’est-à-dire trois fois rien : la destruction du tissu social, le sacrifice d’un certain bonheur de vivre à un souhait morbide : la construction de places aseptisées, et le développement des loisirs organisés qui vont avec. Le tout savamment organisé par ses gouvernants. « Car la démocratie bourgeoise marque les limites de sa clémence là où l’Etat est menacé ».
Charles Reeve (un nom d’emprunt fait pour dissimuler les blessures) s’est décidé à mettre « les pieds dans le plat ». La rage au cœur, et le sourire aux lèvres, parfois. Il nous parle des conséquences de cette « révolution ». De l’émergence des pseudo humanistes libéraux, « révolutionnaires sociaux » passant leur temps à détruire justement ce qu’il reste d’humanité. A l’heure où tout le monde, sauf les principaux intéressés -les portugais eux-mêmes, depuis longtemps muselés-, se satisfait de la bonne conduite du pays -comprenez, le satisfecit de Bruxelles : l’élève est rentré dans le rang. Asservi par la force politique européenne, le Portugal demeure pourtant (fatalité ?) le parent pauvre de l’Europe matérielle.
Nous voilà au cœur de réflexions bien ordonnées, et d’ordre contestataires. Des visées révolutionnaires (qui ne prétendent plus aux grands mouvements -quoique ?-, mais plus simplement au réveil des consciences) animent ces longs articles. C’est dire que son auteur n’est pas promis aux académies et aux décorations. En cela, notamment, il dénote de ceux qui l’ont précédé. Il suit son destin et juge sévèrement les idées sociales régnantes. Ses coups de boutoir visent la même tête, cet euro-fédéralisme, veau d’or des pseudo élites qui ne pensent plus rien, ne croient plus rien, mais idolâtrent toujours. Reste à creuser les interstices qui nous permettront de jouer nos conditions de survie (la puissance de la dérision n’est pas inutile, nous enseigne Charles Reeve), et plus, si possible. Rien n’est moins sûr. L’innommable est là. La fin s’approche. Mais tout recommence, éternellement, non ?