Avec son avant-dernier livre –Le Ragoût du septuagénaire-, Charles Bukowski nous avait clairement prouvé qu’à l’aube de ses soixante-dix ans, l’énergie littéraire de ses premiers écrits pouvait encore jaillir de son vieux cerveau imbibé de gnôle. Et, à moins que Grasset ne nous prenne encore pour des imbéciles avec leur politique de vente consistant à toujours jouer sur les mots afin de présenter la dernière parution posthume de l’auteur comme son réel dernier livre*, nous avons ici affaire au dernier râle poussé par l’écrivain Californien avant le passage fatidique de la grande faucheuse…
Le genre littéraire adopté par l’auteur -le journal intime, donc- dans ce dernier ouvrage surprendra sûrement les habitués. Mais il n’y a aucune raison de s’inquiéter, car peu importe le genre qu’il emploie, sa verve et son style à la fois sensibles et orduriers sont toujours présents. Certes Buko à pris de la bouteille, et quelques-unes des tranches de quotidien qu’il raconte ici frôlent parfois l’inintéressant (notamment ses fréquentes comparaisons entre la machine à écrire et les joies du traitement de texte par ordinateur…). Mais il reste « égal à lui-même », survolant la mêlée du citoyen lambda avec une condescendance des plus atypiques pour pouvoir mieux y replonger tête baissée. Oui, l’ancien postier contorsionne toujours les mots et leurs conséquences, en nous donnant à la fois l’impression qu’il se fout de tout et que son avis -d’une délicatesse brutale- compte énormément.
Comme beaucoup d’écrivains arrivés à la fin de leur vie, le vieux dégueulasse réfléchit lui aussi sur la mort. Et qu’en pense-t-il ? Qu’il est prêt à mourir, mais pas tout de suite, enfin, bref, qu’il est toujours là…
A première vue, Le Capitaine… pouvait paraître comme un vieux fond de tiroir retrouvé par hasard, un quelconque texte poussiéreux uniquement susceptible d’intéresser les fanatiques attardés (c’est d’ailleurs l’impression qui s’en dégage durant la lecture des premières pages). Mais la rage, l’humour caustique et la poésie caractérisant la majeure partie des livres de Bukowski, est toujours présente. Voilà donc une belle et respectable sortie de l’écrivain dont l’intégrité n’aura pas bougée d’un poil.
* A titre indicatif, nous dirons juste que « Pulp » était annoncé comme étant le dernier roman de l’auteur, puis ensuite est arrivé « Le Ragoût… », son dernier recueil de nouvelles, et maintenant « Le Capitaine… », un journal intime illustré par Robert Crumb.