Attention : chef-d’œuvre ! Écrit en 178 de notre ère, ce Discours vrai contre les Chrétiens n’est pas une charge gratuite, ni une caricature. C’est un constat terrible : « Il est une race nouvelle d’hommes nés d’hier, sans patrie ni traditions, ligués contre toutes les institutions religieuses et civiles, poursuivis par la justice, universellement notés d’infamie, mais se faisant gloire de l’exécration commune : ce sont les chrétiens. » À la fin du IIe siècle, les Chrétiens commencent à peine à être connus. Ils sont encore assez mal différenciés des Juifs, dont ils ont renié la religion, pour croire en ce personnage à moitié mythique qu’est le Christ. Les Evangiles ont été rédigés entre 60 et 150. Ce sont les seules preuves historiques qui existent ; or, ces textes sont essentiellement des professions de foi en la résurrection d’un illuminé parmi d’autres, qui a mal tourné puisqu’il a été crucifié, et qui se prétendait Fils de Dieu. Secte parmi d’innombrables autres, les Chrétiens se font avant tout remarquer par leur turbulence, leur impiété et leur immoralité. Il y a pourtant parmi eux, note Celse, quelques gens honnêtes qui ne sont point totalement dépourvus de lumières, et s’ils sont sincères et éclairés, ils entendront la voix de la raison qui est celle de son Discours vrai…
Commence alors pour nous, lecteurs du XXe siècle, une hallucinante discussion des dogmes de la nouvelle secte. Car Celse est profondément consterné : comment peut-on croire à de telles légendes ? Il passe sur les rumeurs malveillantes, assez compréhensibles à l’endroit de gens qui vivent cachés et pratiquent des rites secrets. On les accuse de conspirer contre les lois. C’est grave, mais il y a pire : ce sont des imposteurs, des usurpateurs, d’incroyables récupérateurs, des plagieurs, des pilleurs. Socrate a couru les mêmes dangers que leur Christ, mais il est resté courageux, humble et serein. Les préceptes moraux que les Chrétiens enseignent n’ont rien de neuf. Il y a eu de nombreux sages et philosophes avant eux et leur doctrine morale n’a rien d’inédit. Les prétendus miracles du Christ sont exactement les mêmes que ceux des magiciens et illusionnistes d’Egypte, à la différence près qu’aucun d’eux ne prétend détenir des pouvoirs exclusifs, les autres n’étant que de dangereux charlatans dont il faudrait se méfier. Si Jésus condamne les magiciens, pourquoi pratique-t-il lui aussi la magie ? Plaisante et criante contradiction !
Force est de voir que, malheureusement, aucun Chrétien ne veut donner ni écouter les raisons de ses croyances. Perpétuelle récrimination : « N’examinez point, croyez seulement, votre foi vous sauvera. » Résultat : ce sont les plus incultes et les plus nigauds qui se font recruter. L’argument d’autorité de l’antique ne marche pas. Les Juifs ne sont pas les pères de la civilisation. On ne peut pas mettre Moïse sur le même plan que les plus anciens sages. Les civilisations antiques sont celles des Egyptiens, Chaldéens, Assyriens, Hindous, Perses et Grecs ; comparés aux récits de leur tradition, ceux de la Bible sont incroyablement puérils. Le monde est beaucoup plus ancien. La Bible ne retient que le plus récent déluge en date, alors qu’il y en a eu bien d’autres : pourquoi tricher ainsi avec l’histoire ? Et pourquoi affirmer qu’il n’y a qu’un Dieu, et qu’il n’a choisi qu’un peuple, au mépris de tous les autres ? Vanité, orgueil et enfantillages…
Texte prodigieux, ce Discours vrai de Celse est un éloge de la raison aussi essentiel et indispensable que le Discours de la servitude volontaire de La Boétie.