Catherine Lucille Moore (1911 – 1987) fut l’une des premières femmes de la science-fiction. Comme sa consoeur, la formidable Leigh Brackett, elle avait été élevée à base d’un régime de mythologie grecque, de Magicien d’Oz et d’Edgar Rice Burroughs, qui ne lui laissait aucune chance de s’en sortir. De santé délicate, elle se mit à écrire dès l’adolescence et vendit (100 dollars) sa première nouvelle à l’âge de 22 ans. « Shambleau est une grande chose », écrivit Howard P. Lovecraft conquis, peu après la parution du texte dans la revue Weird Tales en novembre 1933. « Le récit commence d’une façon tout à fait admirable. Sur la note de terreur qui convient exactement, avec des ténébreuses allusions évocatrices de l’inconnu. La nature subtilement sinistre de l’entité, suggérée par l’inexplicable horreur qu’elle suscite chez les gens, produit un effet d’une extrême puissance – et la description de la chose elle-même, quand le masque tombe, ne déçoit pas ». Seul le cadre interplanétaire de l’aventure déplaisait au reclus de Providence qui n’a jamais vraiment goutté les extravagances de la science fantasy.
C’est dans ce récit, devenu aujourd’hui un classique pulps de l’âge d’or, que Catherine Moore a créé le personnage de Northwest Smith, l’archétype de l’aventurier spatial, mercenaire romantique échappé d’un Far West de pacotille pour aller vivre des amours non humaines par delà les étoiles. Le rédacteur en chef de Weird Tales, Farnsworth Whrigth, était tellement content d’avoir mis la main sur ce nouvel auteur qui signait C.L. Moore de façon qu’on ne puisse deviner son sexe, qu’il s’exclama « que ce soit un homme, une femme ou un extraterrestre, c’est quelqu’un de colossal ! ». C’est au cours d’une de ses incursions outre-espace-temps que Northwest Smith rencontra l’autre grande création de Catherine Moore, la belle et féroce Jirel, châtelaine de Joiry. Avec Jirel de Joiry, C.L. Moore a donné un pendant féminin et heroic fantasy aux aventures de Northwest Smith. Amazone esseulée, perdue au milieu d’un Moyen-âge français des plus approximatifs (qui fait penser à L’Averoigne de Clark Ashton Smith), Jirel est l’héroïne de six nouvelles barbares pleines d’une virile sensualité que n’aurait pas renié Robert Howard (Conan), qui au moment même où Moore créait Jirel, avait lui aussi donné naissance à deux héroïnes assez voisines : Red Sonja et Agnès de Chastillon. Le succès est au rendez-vous. La première nouvelle du cycle, Le Baiser du Dieu noir (Black god’s kiss) fait la couverture peinte par la délicieuse Margaret Brundage (dans le genre frêles pucelles à demi nues) du numéro d’octobre 1934 de Weird Tales ; quant à la dernière, longtemps restée introuvable, Quest of the star-stone, elle réunissait la rousse amazone et Northwest Smith et c’est un texte prémonitoire, puisqu’il fut signé en novembre 1937, soit trois ans avant leur mariage, par Catherine Moore et l’écrivain Henri Kuttner, qui s’étaient rencontrés par l’intermédiaire de Lovecraft, à l’époque où il tenait la seule agence matrimoniale de Providence.
Ils écrivirent ensuite presque tous leurs récits ensemble, sous différents pseudonymes dont le plus courant était Lewis Padgett, bien connu des lecteurs français qui n’ont pas oublié la parution-événement dans les pages du Mercure de France de Tout smouales étaient les borogoves, un des premiers textes de la science-fiction américaine moderne traduit par Boris Vian en 1953. Mais ceci est une autre histoire.