Toujours caché sous des masques de complaisance, il loue son âme et ses productions à des gens bien nés mais mal inspirés, prête sa langue et vend ses mots : le nègre a décidément une profession ingrate. Bruno Tessarech, dont on retrouve ici un premier roman paru voilà quatre ans au Dilettante, chronique ainsi les mornes travaux rédactionnels de Louis, auteur clandestin des tracts et discours d’un apprenti-politicien d’envergure locale auquel il fournit au mètre des piques malveillantes et un programme utopique. Succès d’autant plus mitigé que l’adversaire numéro un de notre candidat au Palais Bourbon peut se prévaloir d’une confortable réputation de gaulliste historique et d’une fille aînée qui ne laisse pas notre Louis insensible : le nègre change donc de camp et engage pour le compte du vainqueur la rédaction d’un épais livre de souvenirs, dont les ventes inattendues lui amèneront bientôt une véritable clientèle. Sa carrière est lancée, interface prolifique entre des notables sans style et le produit fini qu’on enverra aux libraires ; les dédoublements s’enchaînent à n’en plus finir lorsqu’un jour, survolant par hasard un volume tiré d’un étal, il ne s’y reconnaît plus : incapable de faire le partage entre sa voix propre et celle de son commanditaire, il plonge dans un abîme de perplexité et, ce qui devait arriver arrivant, verse dans la psychose. Son retour à la vie le verra plus entreprenant : après avoir tenté de donner une suite apocryphe aux aventures de Rastignac et réussi à berner un éditeur qui la publiera comme un authentique inédit de Balzac avant de revenir à la raison, Louis parvient au sommet de son art. Plus nègre que le nègre, il se coule dans la peau d’Emile Ajar et confectionne de toutes pièces une lettre à Céline : le tout pour le tout… Original et superbement maîtrisé, ce coup d’essai reste l’une des meilleures initiatives du Dilettante, chez qui l’auteur persista d’ailleurs un peu plus tard avec tout autant de réussite. Courte, piquante, incisive, baignée dans un humour froid et cynique caractéristique de la patte Tessarech, cette Machine à écrire nous épargne tous les écueils du livre dans le livre et des révérences appuyées pour exploiter jusqu’au bout une idée dont elle tire le meilleur. Tout en glissant discrètement une carte en papier de verre dans le jeu frelaté des prétentions littéraires de nos gens célèbres, autre façon de souligner que ce pays n’a décidément d’oreille que pour ses puissants. Le dénouement de l’entreprise de sabotage littéraire de Louis en est une preuve de plus – pour lui, ce sera même une preuve de trop.
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