Pour autant que la traduction autorise un tel raccourci, on pourrait dire que les nouvelles de Bret Easton Ellis ressemblent, dans l’intention disons, à celles de Raymond Carver. Même vision d’une Amérique en pleine déprime, même insistance sur la névrose, la tristesse de personnages déboussolés, à bout de souffle dans la course d’un quotidien sans pitié. Même description d’univers clos où interfèrent des êtres privés d’illusions, saisis dans leurs poses les plus désenchantées. Mais là où Raymond Carver évite les effets, les formules et les tics, là où le grand nouvelliste est sobre et sans concession, là où le malheur ordinaire dans lequel il nous plonge touche et émeut, l’écriture désincarnée de Bret Easton Ellis n’y parvient quasiment jamais.
Les personnages de ce recueil, il est vrai, sont tous issus du monde superficiel et singulièrement monomaniaque de la haute société de Los Angeles. Ils appartiennent à la catégorie des « yuppies », caste fortunée de l’Amérique des années 80, adepte des drogues dures, s’ennuyant ferme et carburant au Librium. Chaque nouvelle est le récit d’un ratage, d’une faillite personnelle, de l’incommunicabilité entre êtres d’un même milieu, qui se détestent tous. Qu’Ellis connaisse en détail ce monde-là et qu’il puisse en tirer quelques portraits au vitriol, cela ne fait pas de doute. Il arrive même que l’un d’entre eux s’aperçoive enfin de sa misérable existence, de « l’ennui si monumental qu’il rend humble, (…) des espérances si déraisonnables que tu deviens méfiant à l’idée de les réaliser »… Mais à ce compte-là, l’exercice finit tout naturellement par lasser. Produits d’un style qui flirte avec le vide, les personnages deviennent interchangeables, de véritables fantômes. Et passée la surprise des premières pages, on supporte mal le ton complaisant qu’adopte Ellis envers ses propres épaves, envers un système qu’il caricature sans jamais le dénoncer.