Un écrivain français rencontre une lectrice, Hannah, lors d’une soirée à Berlin. Une relation se noue, érotique et torride. Mais, au bout de quelques semaines, Hannah lui fait une proposition étrange. « Elle a évoqué une grande villa sur une île, une forme de résidence très particulière où je serais pour écrire, évidemment, mais pas seulement, pour y découvrir des dimensions inconnues du désir, ses propos étaient confus, elle a bientôt évoqué une autre femme qui aimait les plaisirs et avait les moyens de les organiser à sa guise, cette fameuse princesse dont elle était l’une des deux assistantes ». Invitation, manipulation ? La curiosité étant la plus forte, et la somme d’argent proposée non négligeable, notre héros s’envole pour la Grèce. Là, on le conduit, yeux bandés, vers une île où cette mystérieuse maîtresse, dans sa villa, a installé un harem masculin aux fonctions obscures. Tout y est organisé pour le plaisir ; on le prie d’y prendre part, et d’écrire un livre : « Je veux que vous écriviez chez moi, et que votre manière même d’écrire le désir et la jouissance y prenne une couleur, une sensibilité différentes »…
A l’époque de la pornographie en tranche de trois minutes sur internet, Bertrand Leclair redécouvre la littérature érotique soigneusement scénarisée, où le désir a partie liée au mystère (qu’est-ce que cette villa, qui la finance, qui sont ses invités ?), dans un décor que n’auraient pas renié les surréalistes (île accablée de chaleur, mer profonde, palais somptueux), avec des couleurs à la Gauguin (la « Villa du Jouir » tire son nom de la « Maison du Jouir », dernière demeure du peintre aux Marquises – on connaît l’appétence de Leclair pour son œuvre : voyez son Vertige danois de Paul Gauguin, paru l’an dernier). On ne surprendra pas en disant que la meilleure partie du livre est la première, quand le narrateur se demande s’il tombe dans un piège ; Leclair excelle à décrire son mélange d’angoisse et d’envie quand il débarque à Athènes, sans savoir au juste ce qu’on lui veut, et qu’une jeune femme le réceptionne pour le conduire à l’hôtel… La suite cependant n’est pas mal non plus, avec sa vie de château ritualisée qui fait penser au Mandiargues de L’Anglais, lorgne vers certaines figures obligées (flagellation, etc.) et laisse le lecteur hésiter si l’on est dans un jeu. « Est-ce que tout était théâtre, ici ? A quoi exactement est-ce que j’acceptais de jouer depuis que j’étais enfermé là ? Est-ce que le théâtre n’est pas toujours chargé d’une vérité plus grande que ce qu’il annonce, cependant ? »