Ainsi que l’a confié un écrivain qui connaissait ce genre de manœuvre, la nouvelle se porte bien. Or cette dernière est un exercice périlleux. Manquer à son impératif de concision et tout s’effondre ; son objet même en pâtit et elle ne mérite plus son titre. Bernard Schlink, avec Amours en fuite, offre à ceux qui ont apprécié le Liseur sept nouvelles d’une cinquantaine de pages. Chacune d’elles, comme le mentionne la quatrième de couverture, est un véritable petit roman. Sept tranches de vies, sept histoires délimitées déroulant des séquences d’existence dont le personnage principal est unanimement masculin. On suit, tour à tour, l’itinéraire d’un garçon dont l’enfance muette fut baignée par la contemplation d’une toile de maître. Il en héritera et découvrira qu’elle fut confisquée par son père à une famille juive pendant la guerre. L’Autre est l’étude, le voyage, l’enquête d’un mari découvrant après la mort de sa femme qu’elle l’a, dans un passé lointain, trompé. Schlink, dans Les Pois gourmands (la plus réussie) joue de drôlerie et de gravité en mettant en scène un architecte aux vies sentimentales multiples et dont l’emploi du temps est, par conséquent, très chargé. Il finira par tout abandonner pour revêtir une simple robe de moine et déambuler de ville en ville. Bloqué dans un fauteuil roulant à la suite d’un accident tragi-comique (un pan de sa robe s’est coincée dans la porte d’un train et le frais converti est traîné sur toute la longueur du quai…), il sera récupéré par ses femmes devenues amies, et servira leurs intérêts financiers avec résolution.
Chaque personnage d’Amours en fuite, masculin ou féminin, se recroqueville sur lui-même et interpelle la signification de son enfance, sa propre histoire ou l’état actuel de sa vie. « C’est une erreur de croire que les gens ne prennent que des décisions qui engagent leur vie que quand ils sont ou deviennent adultes » confie-t-il. Que sont l’identité, l’appartenance sociale ou religieuse (c’est le thème de La Circoncision), la volonté ou l’amour quand les héros de chaque nouvelle réalisent combien leur vie a pu être ordonnée par autre chose qu’eux-mêmes ? Il aurait été préférable, cependant, que l’auteur coupe la plupart de ses nouvelles avant leur fin souvent (pour ne pas dire systématiquement) d’une incompréhensible platitude. De fait, il aurait donné à ces histoires singulières et bien conduites le goût tragique qui s’y dissimule mais qu’un aboutissement décalé et parfois joyeux, en désaccord avec leur fond, rend incohérent. Etait-ce donc important, pour l’auteur, de consacrer cinquante pages à chacune de ses nouvelles ? Dans un genre qui ne pardonne pas ce qu’un roman peut masquer (la longueur, la lenteur, une fin molle), il est tout à fait logique -et déplorable- qu’Amours en fuite ennuie.