Ils sont deux, entre Paris nocturne et banlieue désertée : deux hommes qu’en apparence tout oppose, en réalité étrangement semblables. Benjamin Fau, 30 ans à peine, corédacteur du webzine Dubzone, membre d’un groupe de dub orientale, traducteur pour Allia de divers ouvrages sur la musique, entre en littérature avec ce petit roman publié par les Editions du Panama, La Route sous nos pas, qu’il présente ainsi : « Le paysage est celui du monde dans lequel nous vivons, pas toujours facile à regarder en face, imperméable souvent à nos rêves et à nos désirs ».
Ils sont deux, donc, quand le récit commence. L’un participe à des ratonnades pour un obscur groupuscule d’extrême droite qui casse du noir et de l’arabe en sortie de stade ; pas vraiment par conviction, plutôt pour tuer l’ennui, le vide de l’existence, combler un manque, faire obstacle à cette conviction profonde qui veut que rien ne vaut d’être vécu, que ce qui nous attend est forcément voué à l’oubli. L’autre, grandi dans une cité de banlieue parisienne, n’a pas trouvé grand-chose sur son chemin pour nourrir ses envies : un jour, presque sur un coup de tête, il décide de se lancer dans la destruction de Babylone, la Grande Putain. Dealer, il prend l’habitude de chercher dans les yeux de ses clients le vide qu’il sait pouvoir y trouver, comme un écho à celui qui le hante. Points communs entre les deux hommes ? Une enfance solitaire, sans doute, un entourage distant, une quête finalement vaine pour rendre sa vie autre, sans savoir comment elle serait alors. Et une rencontre, brève : ils se croisent un soir, devant un bar parisien, à l’heure d’un règlement de compte, le temps d’un meurtre crapuleux. Quelques instants. Juste assez pour prendre la décision de changer de vie.
Le pardon vient alors : sous les traits de Marie et d’une librairie de quartier pour l’un, sous ceux de Laura et sa fille, d’un studio de musique pour l’autre. Mais alors que la normalisation guette, tous deux savent qu’ils ne pourront jamais oublier, malgré cette envie qui les taraude parfois de s’éveiller sans passé, sans fardeau, chaque jour, à porter à nouveau. Elle est là, la route sous leur pas, qu’il leur faut suivre jusqu’au bout. Car si on peut changer sa vie, la question qui reste est celle du temps. A partir de quand est-il trop tard ? Le passé les poursuit, les réveille la nuit, se dissimule derrière une sonnerie de téléphone ; on peut alors parler de destin, de hasard, ou bien de malchance.
A suivre ce récit mené par deux voix intérieures qui dialoguent, le temps d’une journée, on sent la fin arriver, inéluctable. Les sentiments qui dominent ? L’impuissance, le gâchis, la vanité. Porté par une écriture remarquable, un mélange de ton parfaitement dosé, des personnages fouillés, aboutis, étonnamment vivants, le roman de Benjamin Fau, entre ses banlieues, ses coups d’un soir, ses deals cafardeux, est particulièrement élégant, d’une justesse surprenante. Dans le fatras de la rentrée littéraire, il serait dommage de passer à côté.