Il faudra un jour qu’un universitaire sérieux se penche sur l’oeuvre de Paasilinna, pour une étude littéraire mais aussi politique, philosophique, symbolique, anthropologique : sa passion pour la construction (tous ses personnages sont un peu entrepreneurs ou bâtisseurs) et la destruction (la gigantesque scène de mise à sac dans La Cavale du géomètre), son anarchisme débonnaire, son mélange improbable d’individualisme (des héros à tempérament, qui ne se laissent emmerder par personne) et de collectivisme (puissance d’inertie du groupe, l’union des loufoques fait la force), sa ruralité traditionaliste, son fatalisme bon teint, sa célébration païenne des esprits naturels. Tous ces éléments se retrouvent dans cette nouvelle traduction, qu’on classera plutôt dans le haut du panier (en-dessous du génial Un Homme heureux, mais au-dessus du Bestial serviteur, pour les derniers).
Tout commence lorsqu’un vieux bouffeur de curé finlandais, mourant, lègue paradoxalement sa fortune à une Fondation chargée d’édifier une église. Son petit-fils se charge de l’entreprise, fédérant une équipe de bonnes volontés marginales et sympathiques qui vont former autour du lieu de culte en chantier (scènes passionnantes sur le travail du bois) une sorte de commune autonome, en lutte pacifique contre le fisc, l’Eglise finlandaise et l’Europe de Bruxelles (le roman a été publié en 1992, année de Maastricht). « On adopta à titre de loi constitutionnelle un ensemble assez souple de dispositions fondées sur le bon sens paysan ». Pendant ce temps-là, ailleurs, le monde déraille : chute de l’URSS, troisième guerre mondiale, famine, destruction de New York et exode de 40 000 femmes à travers l’Europe… Satire tous azimuts ? Méditation sur l’absurdité du monde ? Manifeste pour une simple life les pieds dans la terre (avec cuites régulières) ? Peu importe ce que l’excellent Paasilinna a voulu dire avec ce Cantique, pour autant d’ailleurs qu’il ait voulu dire quelque chose : l’essentiel est que ce nouveau bijou soit, comme d’habitude, l’un des romans les plus drôles et plaisants qu’on ait lus depuis des mois. Que viva Paasilinna !