D’Anthony Cronin, on se souvient de Bel et bien morts, paru l’an dernier, recueil de souvenirs dans lequel il évoquait ses ripailles et ses aventures saugrenues avec quelques grandes figures du Dublin littéraire : Brendan Behan, Patrick Kavanagh et Flann O’Brien (ce serait avec ces deux-ci que Cronin aurait lancé le premier Bloomsday, le 16 juin 1954), fortes personnalités, grands écrivains et, aussi, alcooliques notoires. Littérature, bohème, humour caustique, pubs bondés et verres bien pleins : on retrouve ces ingrédients dans La Vie de Riley, formidable roman de 1964 dans lequel Cronin, de manière plus ou moins autobiographique, relate la vie de bâton de chaise de Patrick Riley, un jeune irlandais des années 1940 spécialisé dans l’oisiveté, incapable de résister à une Guinness et prêt à tout pour ne jamais travailler. Lorsque le roman commence, il bosse mollement comme « adjoint au secrétaire » (pas « secrétaire adjoint » -nuance) pour l’association des épiciers de Dublin, arrivant méthodiquement en retard, sale et saoul de la veille à son bureau. Avec sa Bible du nouveau monde et son réveil cassé pour seuls biens matériels, il crèche à « la Garenne », une sorte de gigantesque souterrain où le propriétaire organise des fêtes phénoménales et loue des clapiers sans fenêtres pour quelques pièces. « Comme le Docteur Johnson, je n’éprouve pas une passion exagérée pour le linge propre », confesse Patrick. Journées au pub à taper une bière aux habitués, tentatives d’obtenir des subventions auprès de dames du monde amoureuses de la poésie, entrée dans l’univers de la presse auprès d’un directeur de revue obsédé par la « dialoctique » et qui fait toutes ses conférences de rédaction dans les « cofés » du coin : Patrick va d’une péripétie à l’autre en frôlant régulièrement l’état de clochard, regardant sa vie avec la sérénité flegmatique d’un authentique philosophe. De la consternation ou de l’éclat de rire, on ne sait jamais quelle attitude choisir : La Vie de Riley est un livre incroyablement triste et absolument désopilant, un roman social pathétique et un roman comique irrésistible, quelque part entre Dans la dèche à Paris et à Londres d’Orwell et L’Archiviste de Dublin d’O’Brien, en plus loufoque que le premier et en plus réaliste que le second. Bref, un sommet du roman et de l’humour irlandais, qu’on ne saurait trop conseiller aux amateurs du genre. Anatolia promet la traduction pour bientôt d’un autre Cronin, Papiers d’identité : on l’attend de pied ferme, au pub du coin bien sûr.
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