Mary E. Braddon, Rhoda Brougthon, J.H. Riddell, Amelia B. Edwards : quatre femmes, anglaises, écrivains. Elles forment ce que l’on a pu appeler le « carré d’as » féminin de la littérature fantastique victorienne, carré dont l’exceptionnelle Amelia (1831-1892) ne fut assurément pas le moindre sommet. A la vérité, ce ne sont pourtant pas ses nouvelles fantastiques (elle en écrivit dix-sept, jamais rassemblées de son vivant, et parues pour certaines aux étranges éditions Tauchnitz : une maison installée en Allemagne, ne publiant que des ouvrages anglais, et interdisant curieusement qu’on les envoie en Grande-Bretagne) qui firent sa réputation mais bien plutôt ses romans, épais et réalistes (on la comparait volontiers à Trollope), ses récits de voyage (elle ne tenait pas en place) et ses travaux égyptologiques. C’est donc peu dire que l’oeuvre de Miss Edwards (Miss, car cette homosexuelle affichée ne connut apparemment aucune relation masculine) est aussi variée que sa vie a pu être pleine. Son plus grand succès, A Thousand miles up the Nile (1877), sera l’essai anglophone de référence à propos de l’Egypte ancienne jusqu’à la seconde guerre mondiale ; on lui connaît aussi quelques policiers, pléthore d’articles (elle fut critique d’art, et contribua abondamment à la revue de Dickens, à qui elle eût d’ailleurs l’audace d’interdire de raccourcir un de ses textes), un roman autobiographique dans le Paris bohème et graveleux (nourri de détails croustillants sur la sexualité étudiante) du dix-neuvième siècle, deux recueils de poèmes, un journal de route tenu lors d’un périple dans les Dolomites… soit une impressionnante quantité de textes dont il n’était pas inutile d’extraire ces sept nouvelles fantastiques composées entre 1863 et 1881.
C’est la quintessence de la ghost story anglaise classique que l’on découvrira dans la majorité de ces histoires admirables où, après nous avoir conté avec un art consommé du suspense et de la construction les étranges aventures d’une poignée de protagonistes aux prises avec l’inexplicable, Amelia B. Edwards nous laisse savamment sur autant de fausses conclusions et de mystères non résolus. Jacques Finné, traducteur de ces sept courtes fictions, analyse dans sa remarquable postface sa manière singulière et son fréquent recours au piège, classique dans la littérature fantastique, de ce qu’il appelle la « fausse double explication ». Fantômes à toutes les sauces, âmes maudites, métempsycose et phénomènes rigoureusement irrationnels forment le menu de cette livraison où l’on pourra distinguer Les Iles au trésor, extraordinaire nouvelle où Edwards s’essaye, dans une atmosphère d’un mystère cotonneux et inquiétant, à une variation sur les thèmes de l’île déserte façon Robinson, du navire fantôme, du trésor et de la profanation (pour certains commentateurs, ce texte étonnant -peut-être maladroit- serait même la première exploitation littéraire du triangle des Bermudes). Angleterre, Allemagne, Italie, Suisse, île tropicale maudite : les théâtres des apparitions et effrois de Miss Edwards sont aussi variés que la palette des détails et effets de son style fluide et précis. Le délicieux dépaysement qu’ils entraînent n’est qu’une raison de plus pour ne pas manquer cette résurrection littéraire de première importance.