Alphonse Boudard a mené une vie de patachon avant de se consacrer à la littérature. Ceux qui ne voyaient en lui qu’un cave recyclé dans les lettres (longtemps, on a méprisé ce genre littéraire qu’est le polar, ou la veine populaire) sont passés à côté de l’histoire. Celle d’un homme dont la vie valait d’être contée. Mauvais garçon des lettres françaises (quelques cambriolages et larcins à son actif dans ses jeunes années, pas mal d’oseil – ce qui a toujours une fin, et en conséquence de quoi un peu d’ombre dans les geôles de la République), Alphonse Boudard s’est depuis montré sous son meilleur jour : écrivain tout simplement (il est l’auteur d’un livre remarquable, hommage à sa mère, Mourir d’enfance).
Cette Madame… de Saint-Sulpice n’a fait que confirmer l’importance de cet auteur à la gouille verbale irrésistible, aussi à l’aise avec la langue française que dans la manière de mener une histoire et de camper des personnages dont le souvenir vous poursuit durablement. Il en est ainsi de cette dame, tenancière de bordel, qui en dehors de ses attributs non négligeables et de son amour de la chose bien faite, est évoquée sous les traits les plus passionnants : élevée dans un couvent, elle connaîtra une destinée chaotique avant de se révéler une patronne humainement irréprochable malgré le commerce qu’elle entretient. C’est cette tranche de vie d’une femme à l’élégance rare, dans le Paris des années d’avant, puis pendant et juste après guerre, l’histoire de cette Abbaye un peu particulière, où passent des clients improbables, que nous fait découvrir un Alphonse Boudard dont le pouvoir d’invocation demeure magistral.