Ceux qui avaient découvert le nom d’Aleksandar Hemon avec le recueil de nouvelles qui a fait sa renommée, De l’esprit chez les abrutis, se souviennent peut-être d’un certain Jozef Pronek, héros de l’une d’entre elles (« Blind Josef Pronek & Dead Souls ») : il n’avait alors échappé à personne que les tribulations de ce jeune émigré yougoslave au pays de l’oncle Sam étaient largement inspirées de celles de l’auteur et des petits boulots qu’il y avait accumulés avant de se mettre à l’écriture. Pour mémoire, rappelons que Hemon, invité aux Etats-Unis dans le cadre d’un échange culturel au début des 90’s, visitait Chicago lorsqu’il apprit que l’état de siège était déclaré à Sarajevo, sa ville natale. Face à l’impossibilité de retourner en Yougoslavie, il décide d’y rester et d’apprendre l’anglais en accéléré. Résultat : trois ans plus tard, il publiait sa première nouvelle dans sa langue d’adoption, bientôt suivies d’une poignée d’autres et d’un recueil traduit dans une quinzaine de pays.
Dans L’Espoir est une chose ridicule (Nowhere man, en V.O. : le traducteur, Johan-Frédérick Hel-Guedj, a un don certain pour les titres francisés), son premier roman, il redonne donc vie à son personnage fétiche et reprend ses aventures par le menu en commençant le 10 septembre 1967, à la maternité de Sarajevo, « après vingt-quatre heures d’un travail épouvantable, qui eut pour point culinant le serment de sa mère qui jura qu’elle l’étranglerait de ses propres mains s’il ne sortait pas immédiatement. » Bienvenue dans la vie de Pronek, donc, dont Hemon nous raconte à cent à l’heure les jeunes années balkaniques, les grandes et pathétiques ambitions musicales, les contrariétés amoureuses et le départ pour l’Amérique. Hemon, qui cite une nouvelle fois Bruno Schulz en exergue, n’a rien perdu de la verve, de la nervosité et de la capacité d’invention qu’on avait trouvé à ses nouvelles : mené au grand galop, son roman est à la fois irrésistiblement burlesque (une scène d’anthologie dans laquelle Pronek rencontre George Bush père en Ukraine, pour ne pas parler de deux ou trois autres morceaux de bravoure comme ce petit boulot de détective privé à la manque qui occupe Pronek quelques semaines) et absolument palpitant, d’autant qu’il fait preuve d’une parfaite maîtrise de la construction et des moyens littéraires qu’il s’est choisi (lettres, changements de points de vue, sauts chronologiques). La joyeuse profusion formelle de ses nouvelles (images, photographies, notes de bas de pages au kilomètre) laisse ici place à un style plus ramassé, leurs jeux avec l’Histoire du XXe siècle s’effacent au profit d’un récit plus personnel : on pourra regretter que la facétieux Hemon se soit quelque peu assagi de ce point de vue, mais force est de conclure que cette épopée rock’n’roll entre la vieille Europe centrale et les côtes du Nouveau Monde est diablement attachante. On fera donc encore bien volontiers un bout de chemin avec lui.