Si Alain Turgeon, né au Québec en 1967, se fit remarquer ces derniers mois avec la parution aux éditions La Fosse aux Ours d’un recueil de nouvelles titré Préambule à une déclaration mondiale de guerre à l’ordre, cet étrange premier roman paru chez Michalon en 1997 ne nous avait pas laissé grand souvenir -on y revient donc à l’occasion de sa reprise en poche. Sur la première page, il est écrit : « Page de début ». Les premiers mots : « C’est avec mon cousin Daniel, celui que j’étais si fier d’être avec lui. » Ce texte de 150 pages écrit sur trois années constitue l’autoportrait à vif d’un garçon à la place duquel on n’aimerait pas forcément se trouver, épopée glauque et linéaire au style bancal dont ne sait pas exactement par quel côté la prendre. Triturant la grammaire et la phrase sans aucune pitié, accumulant les adverbes et les répétitions (« Mais si j’écris, c’est principalement surtout que des fois, je suis animé d’une telle paresse que forcément cela me secoue »), Alain Turgeon balance entre romance et témoignage et peine à faire de son texte tout entier la fuite en avant sans accessoires ni ornements qu’il obtient par endroits ; on est pourtant quelques crans au-dessus d’un Ravalec. Il y a bien quelques pages qui, écrites sans gants ni précautions, claquent vraiment et font chavirer nos certitudes (« Dans notre appartement qu’on habite, il y a la cuisine, la salle de bains et il y a ma chambre qui est juste à côté d’un drame. C’est quand je vieillis encore un peu que je me rends compte qu’ils la battent plus souvent qu’à son tour ma mère ses petits amis ») ; ailleurs, on oscille entre les souvenirs d’enfance d’un gamin mal tombé (branlettes, collège et première fois) et les histoires à peine crédibles du même devenu grand (armée, boulots et amours mortes).
Une lueur de génie semble cependant traverser l’écrivain à chaque fois qu’il parle de sexe, avec une sorte de misogynie naïve qui fait mouche : « Les femmes elles sont assez étranges avec le sexe. On peut jamais vraiment leur dire la vérité sinon elles sont pas contentes. D’un autre côté, c’est vrai que dire à une belle inconnue qu’on a envie de coucher avec, c’est un peu comme dire à l’hiver qu’on a froid ; c’est inintéressant et trivial. » Ailleurs, après quelques explications sur le comportement légèrement incestueux d’un ami nommé Michel : « Une sœur, c’est quand même une fille. Surtout la sienne. » De fait, Gode Blesse ne fonctionne qu’à moitié : à tout prendre, l’objet littéraire aurait vraisemblablement eu une plus grande valeur livré brut de décoffrage, c’est-à-dire avec toutes ses fautes d’orthographe et sans le travail de mise en forme supplémentaire que l’on décèle avec assez d’aisance dans ces pages inégales. Ce narrateur à la fois attachant et inquiétant est peut-être tout simplement trop réaliste pour faire un bon personnage de roman. Il en a pourtant presque tous les défauts : « Des fois je voudrais repartir à zéro dans ma vie. Mais en fait j’ai qu’à continuer comme normal puisque ma vie le zéro elle l’a jamais quitté. »