Exemple de recette pour faire une biographie mi-historique mi-roman d’aventures : avoir un souci de (re)construction, réinventer les événements, faire usage de son imagination, utiliser un style simple et efficace, faire revenir dans une louche de réalisme saupoudrée de mystère. Un impératif, il faut captiver le lecteur. Reste à trouver le sujet, le héros, le personnage : une figure unique comme le Chevalier de Saint-George par exemple. Escrimeur incomparable, violoniste virtuose, compositeur reconnu, séducteur impénitent, proche de Marie-Antoinette, espion, intime du duc d’Orléans, chef militaire, franc-maçon et… noir.
Alain Guédé, journaliste au Canard enchaîné, a rencontré Saint-George au hasard d’une programmation musicale. Son oreille lui disait Mozart, c’était Saint-George en réalité qu’il écoutait (est-il vraiment possible de les confondre ?). Plutôt curieux, il se renseigne : quelques citations dans des traités d’escrime, une mention comme chef des Concerts de la Loge Olympique. Parfois appelé « Watteau de la musique », il a été l’intermédiaire du Comte d’Ogny lorsque celui-ci passa commande de 6 Symphonies à Haydn ! Mais il fut aussi le premier franc-maçon noir en France, le fondateur du premier régiment composé de noirs et de métis, la Légion Saint-George, etc. Pourquoi est-il alors tombé dans l’oubli ? Guédé parle d’un naufragé de l’Histoire.
Une Histoire qui a mis de côté les minorités et les Noirs. De plus, le milieu musical s’est pendant longtemps montré plutôt fermé. Avez-vous déjà beaucoup vu de noirs dans un orchestre ? Par ailleurs, noble et mulâtre étaient (sont ?) totalement antithétiques. Saint-George est l’exception qui confirme la règle. Le XVIIIe siècle a beau être « Siècle des Lumières », le noir n’était pas un bon choix en matière de couleur. Quant à être franc-maçon, il fallait recouvrir sa tête d’une cagoule pour passer le premier rite initiatique. La direction de l’Opéra, n’y songeons pas. La carrière militaire à la rigueur, à condition d’aider la Nation alors sans dessus dessous (ou sans culottes). Guédé fait de cette biographie un plaidoyer contre l’intolérance. Il nous rappelle ces trois beaux mots que le XVIIIe siècle inventa -« Liberté, Egalité, Fraternité »- et qui encore aujourd’hui résonnent au-dessus de nos têtes.
Le seul défaut de l’ouvrage réside dans le fait que Guédé s’acharne à nous faire croire que Saint-George était un grand compositeur, ce qui est complètement faux. Guédé est convaincu que cette musique vaut celle de Mozart. A l’écoute des 4 Concertos pour violon enregistrés chez Forlane -ils sortent en même temps que le livre-, on a plutôt l’impression d’une musique au kilomètre, d’une musique sans âme et beauté. Alors, Saint-George grand homme, peut-être, grand artiste, certainement pas. Guédé n’est pas encore Dumas, le seul romancier qui a été capable de nous faire croire à l’invraisemblable.