Oh, hippie days ! retrace d’une manière spontanée l’échappée aux Etats-Unis d’un petit banlieusard de 25 ans qui s’ennuie en France. Alain Dister (voir notre rencontre), aujourd’hui rock critique (à Rock n’ folk, notamment, et à L’Œil), écrivain et photographe, a recopié, remanié ses carnets américains tenus entre 1966 et 1969, ajouté certaines choses, aussi, considérations rétrospectives aussi lyriques qu’intelligentes. Loin d’être un recueil nostalgique de ces années énervées, fécondes, déjantées, où le mouvement hippie naît, croît, et meurt, ce livre replace dans une perspective subjective et finalement très critique une période assez mal connue en dehors des clichés « flower power » qu’on nous sert habituellement. Les hippies, ce n’était pas forcément aussi happy que ça.
En 1966, le jeune Dister commence forcément son périple par la mise en application des principes Beat (Alain Dister est connu aussi pour un petit livre remarquable consacré à la Beat generation), véritable mèche de la contestation 70’s (la révolution hallucinée) avec ses galères attendues, depuis les drive away triomphaux à bord de Pontiac flambant neuves, le joint au bec et la musique à fond (les riches de la côte Ouest avaient l’habitude de faire convoyer leurs voitures gratos en les donnant à conduire à des volontaires pendant 5 000 km, d’est en ouest, ce qui donnait aussi la possibilité à de jeunes gens fauchés de voyager pour pas un rond), jusqu’aux mauvais plans où un routier allumé veut vous violer tranquillement près d’une station essence désaffectée. On a ensuite le droit à la découverte de San Francisco, sa « vibration », son arsenal de drogues et ses free clinics, ses concerts où jouent Procol Harum, Janis Joplin et le Pink Floyd, les grands rassemblements (Human Be-In), avec, sur scène, Jefferson Airplane, et au fond, Allen Ginsberg qui récite des mantras, le front barré des trois lignes de Shiva, et puis toujours, fusant par-dessus, les nouvelles de la guerre du Viêt-nam et les cris de plaisir des filles.
Le folklore, mais aussi des choses beaucoup moins connues, dans une plongée en apnée à travers toutes les tribus déjantées de l’époque, des Hare Krishna aux Merry Pranksters fondateurs des « light shows » et organisateurs des premiers concerts du Grateful Dead, de la soixantaine de « freaks » qui se font appeler la Commune, qui voyagent en bus et ont leur propre groupe de rock, aux mouvements plus radicaux, « white panthers » ou « motherfuckers », qui pratiquent une sorte de rap, proto-punks appelant à l’énergie et à la prise de pouvoir immédiate face à des hippies considérés comme plombés et inactifs. Bref, une immersion à mille à l’heure à travers les remous d’une époque complètement « à l’West » et sa retranscription « témoin » par un type de moins de trente printemps qui vit tout cela sans retenue. Mais ce qu’on retiendra surtout dans ces « hippie days » haletants et sulfureux, c’est le style de Dister, écriture flamboyante et flambée, fluide et colérique, pleine à craquer de métaphores bruyantes et colorées. La volonté de dire les choses avec le cœur, avec le « beat », au rythme des montées, des descentes, des joies mentales et physiques, avec en prime un sacré paquet de douleurs et de retours de bâton, parce que jamais on ne s’est retenu de s’exposer à la vie. Ainsi, on garde, ému, le souvenir de ces petites lettres insérées dans le corps du texte, mises en valeur par l’italique, adressées trente ans après à ces Tara, Millie, Liza, Tess, désirées, peut-être aimées mais toujours brûlées parce que jamais on ne s’attache et qu’être jaloux, à l’époque, était passé de mode.
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