Yoshimura a disparu cet été à 79 ans. Atteint d’un cancer, il a décidé de cesser tout traitement, de s’éteindre en laissant derrière lui un dernier écrit, sans doute avec la mort pour invitée, une fois encore. Car Yoshimura connaît bien celle qui partout hante les légendes, contes et récits ; il l’a placée au coeur de son oeuvre. Déjà, en 1959, La Jeune fille suppliciée sur une étagère retranscrivait le monologue d’une jeune morte. S’ensuivit, publié dans ce recueil, le Voyage vers les étoiles, prix Dazai en 1966 : l’histoire d’un suicide collectif. D’autres textes suivront, à l’avenant. Car Yoshimura ne sépare pas le monde des vivants de celui des morts. Les uns ne vivent pas sans les autres : ce sont les interférences entres ces deux univers qui l’intéressent, le fascinent. C’est d’autant plus remarquable qu’il utilise pour les raconter une écriture absolument limpide, libérée de tout superflu, chirurgicale, qui n’est pas sans évoquer celle de Yoko Ogawa, autre habituée des thèmes mortifères, étranges, décalés. Yoshimura, dont les écrits sont pourtant antérieurs, est moins traduit en France ; mais ce qu’il éveille chez le lecteur, cette fascination morbide, un rien sordide et en même temps extrêmement douce, presque poétique parfois, c’est l’essence même de ce qui a fait le succès de L’Annulaire d’Ogawa, illustrée à la perfection dans la première des deux nouvelles, « Un spécimen transparent ».
Le texte est très court, insolite, angoissant. On y rencontre un préparateur d’os qui prélève ses spécimens sur des morts qu’il rêve les plus frais possibles, pour poursuivre dans son grenier l’impossible quête de l’os parfait, du spécimen idéal. Comme un écho aux travaux menés des années auparavant par son beau-père, sculpteur d’étranges miniatures et détrousseur de cadavres. Dans un curieux ballet se mêlent fantasmes et traumatismes, la minutie du récit tranchant sur la folie douce que dévoilent les mots. Le texte dans son entier semble étouffer, repose sous une chape de silence, baigne dans une odeur étrange, mélange de formol, de mort, de maladie et de vieillesse. Yoshimura raconte avec une perfection glacée, glaciale, muette ; on est dans le bizarre, le dérangeant, on frôle le fétichisme, l’obsessionnel. Le malaise est omniprésent, forçant à imaginer, plus vrais que nature, les os, leur blancheur, leur éclat puis petit à petit, leur transparence, leur disparition. Jusqu’à conduire, comme il se doit, aux portes d’une folie dont on ne sait plus si elle est de notre monde ou si elle relève d’une réécriture surréaliste d’un univers qui serait un reflet du nôtre, son écho discret. Jusqu’à ce qu’on ne décèle plus clairement de frontières, entre normalité et anormalité.
Le second texte, « Voyage vers les étoiles », semble à première vue de facture plus classique. Un jeune homme oublie d’aller en cours, ne sait plus trop ce qui lui fait envie, traîne son ennui dans les rues de sa ville, y rencontre des gens. Et puis, un jour, vient l’heure du choix, de l’ultime décision ; ils sont cinq, il ne leur reste qu’à mourir, il est « intolérable de continuer à vivre ». Pour écrire ce texte, Yoshimura s’est inspiré d’un fait divers réel. Il lui a donné une tonalité singulière, la même que celle qui imprègne la première nouvelle, faite à la fois de mélancolie, de poésie, de distance et de perfection. Il est très difficile de sortir de ces textes, qui font écho à bien plus de choses que leurs sujets ne le laissent supposer. Difficile d’en sortir intact, difficile de ne pas être contaminé par ce que l’écriture distille insidieusement ; peut-être, simplement, une autre façon d’observer le monde.