Encore un Prix Akutagwa, publié par les éditions Picquier. Une couverture allègrement kitsch, qui pourrait faire craindre le pire. Et puis non. Le Jour de la gratitude au travail, qui rassemble deux courts récits, comme il se doit centrés sur l’univers du travail au Japon, se révèle d’une facture plutôt honnête, bien que sans grande originalité. Akiko Itoyama plonge dans le quotidien de deux japonaises, l’une chômeuse, statut peu enviable au pays du soleil levant, l’autre employée dans une grande entreprise. Elle décrit la société nippone avec ses travers, son lien à la tradition, sans oublier d’y introduire la marque de fabrique de la littérature japonaise : un soupçon de fantastique, ce rapport singulier à la mort, l’autre monde, le presque normal. C’est cette évasion qui permet aux deux récits de s’extraire de la simple chronique, ainsi que le ton qu’adopte Itoyama, doucereusement cynique, un rien sarcastique, quand il s’agit de commenter l’allégeance au travail qui fonde l’essentiel de l’existence de nombre de ses concitoyens. L’ANPE locale, qui véhicule dans l’esprit des heureux salariés une image répulsive, est décrite non sans saveur, avec ses panneaux « Le Travail c’est la vertu », « dignes de la propagande communiste ou des forces d’autodéfense ». Une « rencontre arrangée », mise en scène par une voisine bien pensante, est un parangon de clichés éculés, où l’on voit la jeune fille sans mari venir se présenter tête basse, dans ses plus beaux atours, comme pour passer un examen de passage, ravalant ses commentaires acerbes, avant de fuir à toutes jambes le chef d’entreprise pédant qu’on a imaginé lui coller. Heureusement qu’à la tombée de la nuit il reste les bars de coins de trottoir, pour oublier que le 23 novembre est le Jour de la « Gratitude au Travail ».
Un jour nécessairement plus facile à célébrer pour les bienheureux travailleurs que pour les sans-emplois, mais qui ne suffit pas à cacher les misères sous-jacentes à la vie exemplaire du salarié modèle. L’entreprise, véritable deuxième famille, et parfois même première, a du plomb dans l’aile. Il reste aux employés fidèles certaines amitiés, parfois difficiles à oublier, surtout quand d’anciens collègues décident d’apparaître sous forme de fantômes à ceux qui sont restés. C’est ce qui arrive à Oikawa quand Futo, mort assommé par un suicidé qui lui est tombé dessus, surgit dans un appartement désert, une cigarette à la main. Sans doute parce que malgré toutes les précautions qu’il a prises avant de mourir, il n’a pas pu protéger ses secrets, aussi anodins soient-ils. Et que maintenant qu’il est parti, il est peu probable qu’Oikawa puisse protéger les siens.
Akiko Itoyama livre un regard lucide sur l’univers du travail au Japon, si souvent raconté, illustré, décrié. Elle y trace la difficulté d’intégration des femmes, victimes parfois inconscientes d’un univers réducteur. Ses deux personnages féminins promènent leurs solitudes, leurs incompréhensions. Ils rappellent les femmes mises en scène par Mitsuyo Kakuta dans Celle de l’autre rive, qui s’attachait également à peindre le quotidien archaïque de japonaises peinant à s’émanciper des archaïsmes de leur société. Sous un ton en apparence très léger, très « féminin de société », Itoyama dénonce, se révélant presque plus désabusée que Kakuta, tout en peinant – c’est dommage – à extraire ses textes de l’anecdotique, vite lus, vite oubliés. Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter sa pierre à l’édifice érigé par ces quarantenaires japonaises qui semblent décidées à dénoncer les impasses de l’univers dans lequel elles évoluent.