On a jamais cessé de dire ici tout le bien qu’on pense de Yakuza, aka Ryu Ga Gotoku. Bien loin des fantômes de Shenmue et GTA qui ne l’ont jamais hanté mais vers lesquels on l’a sans cesse ramené par facilité, la série de Toshihiro Nagoshi a su imposer son style, son univers et surtout ses intrigues. Nulle part dans l’histoire du jeu vidéo elles n’ont prise autant appui sur une vision morale du monde. L’obsession vertueuse du yakuza, sa philosophie urbaine et chevaleresque, son amitié pour les clodos et les putes, ont fait de la série un objet unique qui dans sa virilité touche mine de rien à une représentation toute entière du Japon, sinon des choses. Peu de jeux ont su pousser si loin et si simplement une caractérisation des personnages en fonction d’un rapport à la réalité. Sans parti autre que cet idéal collectif japonais construisant sa diversité jusque dans tous les extrêmes, Yakuza vante un mélange d’anarchisme locale et de restes féodaux qui fait du bien à voir. Pas parce qu’ils représentent une alternative réactionnaire, mais pour cette seule faculté de la série à insuffler une véritable politique du monde dans le jeu vidéo. A non seulement créer un serial passionnant dans son développement mais aussi dans ses enjeux. Jeu de société noctambule et romanesque, Yakuza rappelle que les japonais sont aussi parmi les meilleurs conteurs.
Après quatre épisodes, Yakuza entame aujourd’hui son deuxième spin off. Le premier (Kenzan), dans le Japon médiéval, est resté inédit en Occident (pas une lourde perte). Le second, une variation zombie, a eu plus de chance puisqu’il bénéficie d’une sortie discrète par Sega. Dès l’annonce de Yakuza dead souls l’inquiétude était grande de voir la licence s’égarer dans une énième pantalonnade de morts vivants ; comme si le jeu vidéo en avait encore besoin. Quelques heures suffisent à confirmer et à la fois infirmer (un peu) ces craintes. Si le jeu conserve sans faillir ses solides fondations narratives sans trop verser dans la pochade zombiesque, il laisse en revanche plus sceptique sur son architecture ludique. Divisant son air de jeu en espace distinct : d’un côté la zone de quarantaine avec ses hordes de zombies, de l’autre la ville où tout se déroule comme avant, avec ses bars, restaurants, magasins, jeux, karaoke et clubs à hôtesses, Yakuza dead souls sépare complètement ce qui autrefois était intégré. Un passage obligé sans doute (comment continuer à faire du shopping un mort-vivant aux fesses ?), mais qui tue la cohérence du jeu. Yakuza tirant aussi sa force de sa partie beat’m-all, joyeux prétexte au cassage de gueule en règle de la racaille locale dans un environnement urbain détourné, déplacer son gameplay vers un TPS n’était pas une grande idée. C’était même franchement la pire qui soit.
Le sel de la licence a toujours été son système de combat intégré dans un environnement quotidien. La distinction faite, l’ère de jeu d’action et de simulation urbaine ne communiquent plus et c’est vite l’ennui qui triomphe. D’autant que le TPS de Sega se révèle vite foireux avec ses caméras baladeuses et sa visée mal fichue. On se retrouve ainsi devant une vague version « yakuzée » de Dead rising, avec un sous gameplay bancal et confus dont il faut les frais du bâclage dans des niveaux mal adaptés montrant vite leurs limites ; même si le jeu a beau vouloir utiliser les décors ou varier les armes et les ennemis. Inutile alors de vouloir se rattraper sur le reste (l’intrigue et le sim life), qui n’invite pas à l’investissement quand un large tronçon du jeu n’amuse pas, voire même devient vite assez gonflant. Le casting est pourtant bien là, comme le petit bout de Tokyo où depuis le temps on a pris nos habitudes, mais la tentative de migration sur les terres d’un autre genre dissimule mal la paresse d’une série à bout de souffle. Le choix même du mort-vivant, usé jusqu’à la corde de la corde, pouvait difficilement dire autre chose, sinon être une parfaite contradiction à cet univers homogène.
Ironiquement, cet épisode de transition (avant un cinquième qui devrait revenir à la formule qu’on connait et faire voyager Kazuma Kiryu hors de Shinjuku) porte bien son nom. Les âmes mortes du jeu c’est lui. Personne n’est dupe des décors apocalyptiques qui ne sont qu’un vague maquillage des anciens qu’on connait par coeur. Pas plus des mêmes routines de jeu (dating, mini game, sim life) qui sans la baston ne donnent plus envie d’errer dans les ruelles de la ville, et donc d’aller faire quelques pauses en bonne compagnie ou juste boire un verre. Le concept vidé de son essence, même les personnages perdent de leur charisme : à quoi bon continuer à s’y intéresser dès lors que tout le reste ne suit plus. Qu’on n’a plus envie d’habiter là, de passer des heures sur des quêtes absurdes à jouer aux UFO catcher pour sauver une fillette en détresse. Nagoshi et son équipe, probablement déjà le nez sur le tout aussi médiocre Binary domain, a certainement imaginé que la pseudo coolitude du zombie était une manière de transgresser l’univers de Ryu Ga Gotoku sans trop se foulée. Il ne faut pas s’étonner que le jeu ressemble à la nouvelle tendance frileuse d’une large production japonaise qui va bien au-delà du jeu vidéo. Nagoshi ne pouvait décidément choisir meilleur titre pour se mettre une balle dans le pied.