Depuis quelques années déjà, à travers la série des WWE Smackdown ! vs. raw, le catch se déploie en jeu vidéo comme une banale simulation sportive. C’est ainsi que chaque année qui passe voit se décliner une énième mise à jour d’un contenu qui évolue avec le temps et le progrès technique à l’oeuvre dans le jeu vidéo. A ce constant mouvement d’approche d’une réalité supposée, le jeu de Yuke n’échappe pas. Les entrées sur le ring singent à l’identique la débauche de sons et lumières des shows originaux, tout comme les coups spéciaux de chaque catcheur sont reproduits au détail près, dans des arènes toujours plus fidèles.
Cependant, il est une différence entre le catch et le sport, condamnant à la déception systématique du jeu : c’est qu’à la loi du meilleur, qui est celle du jeu mais aussi du sport, le monde du catch oppose celle du spectacle. Sa vérité n’existe jamais dans le couronnement rationnel d’une issue, mais dans la passion et l’excès d’un geste dont la visée est purement spectaculaire. Alors que le joueur de jeu vidéo est toujours en quête d’achèvement (que ce soit celui d’une maîtrise, une victoire ou n’importe quelle autre fin), cette poursuite d’une fin et la téléologie qu’elle sous-tend ne touche jamais à l’être du catcheur. Si dominer constamment son adversaire pour l’emporter fait la grandeur du joueur, en catch, cela n’est jamais d’un grand intérêt. Ce qui compte s’exprime dans le spectacle d’une douleur, d’une injustice, ou d’un retournement qui font cheminer la propre histoire d’un combat.
S’il est sans doute impossible de traduire dans une mécanique de jeu cette essence spectaculaire du catch (quand bien même WWE 12 favorise par exemple les retournements de situation), le jeu de Yuke formule cependant l’hypothèse que l’essentiel ne se joue plus sur le ring. A la manière d’un NBA 2K, qui vise à être une simulation de retransmission télévisée d’un match de basket plus que du simple match lui-même, WWE 12 entend capter la réalité d’un spectacle plongé dans sa propre médiatisation, et donc en premier lieu sa fidélisation. Le calendrier d’une saison y est entièrement reproduit dans le jeu, ponctué par l’ultime Wrestlemania ; tout comme il est possible de suivre une storyline au dirigisme assumé dont le coeur se situe aussi bien sur le ring qu’en dehors, à l’image de la première scène où le joueur traverse les coulisses avant d’être attaqué par surprise.
Oubliée donc cette idée du catch, porté par la seule grâce d’une justice du ring que Barthes décrypta dans ses Mythologies. Si le catch est toujours le spectacle d’un réel totalement intelligible, les critères du réel, habités par le règne de l’image et de sa permanence, ont quant à eux profondément changé. Désormais, le catch se conçoit comme une construction perpétuelle dont l’envers du décor constitue sa véritable scène, de sorte qu’happée par la médiasphère, l’essence du catch glisse vers le soap. Le catcheur est encore son personnage en dehors du ring (ce que l’on appelle dans le monde du catch le « kayfabe ») et vit un quotidien fait de ragots et de potins, multiplient les complots et les alliances aux enjeux sportifs, économiques et amoureux.
C’est finalement cette richesse narrative que WWE 12 embrasse, récompensant les passionnés, ceux qui ont suivi avec émotion la tragique mise en retraite de Ric Flair par son ami Shawn Michaels, savouré le retour de The Rock, ou encore jubilé des bassesses du couple infernal Edge / Vickie Guerrero, pour ne citer que quelques unes des innombrables storylines qui parcourent ce monde où l’on catche, entre autres choses. Le jeu fait ainsi à cet égard preuve d’une générosité et d’une grandeur sans faille, permettant non seulement de créer son catcheur, ses propres arènes, ou ses coups, mais surtout, jouer de ses codes scénaristiques, écrire, monter et partager à l’envie ses propres histoires, dans la peau du démiurge qui écrit l’histoire du catch et l’apprécie. Une manière d’esquiver et surmonter la problématique du jeu: devenir le créateur de son propre spectacle.