Renié, enterré, ressuscité, depuis quelques années on ne sait plus quoi faire du jeu vidéo japonais. Dès lors que l’Amérique a dicté la marche à suivre en alignant ses blockbusters, les développeurs nippons sont devenus le marronnier qu’on a secoué régulièrement pour se dire que tout n’était peut-être pas foutu, mais un peu quand-même. L’arrivée de Platinum Games en 2009 avec Madworld s’est voulu ainsi la contre attaque d’une bande d’expendables qui en réunissant quelques ex-stars de Capcom (Shinji Mikami, Atsushi Inaba, Hideki Kamiya), entendait montrer au monde que les japonais en avaient encore dans le ventre. Après sept jeux en quatre ans, quel bilan faire du studio, et surtout que dit-il de cette sirène d’alarme qu’on a trop souvent activée ? Que le studio reste sans hésitation l’héritier héroïque du beat’em all pur jus (Vanquish, Bayonetta et Metal Gear Rising l’ont magistralement prouvé). Au-delà, c’est plus délicat, et Wonderful 101 vient à point pour montrer les limites du studio dès lors qu’il s’écarte des balises qu’il maîtrise.
On sait depuis au moins Viewtiful Joe qu’Hideki Kamiya est un grand obsédé des super héros masqués japonais (Kamen rider et ses copains Biomanesques). On sait aussi que lui et ses amis de Platinum vouent une véritable passion à l’excès, la démesure, le grotesque, à une théâtralité absurde et joyeusement débile qu’on ne trouve nulle part ailleurs avec autant d’extravagance. Wonderful 101 aurait du être son chef d’œuvre. Le jeu poussant dans ses retranchements une mise en scène hystérique et stylisée où des Godzillas survoltés font voler des buildings. Difficile de nier au spectacle son ambition, de dire qu’il ne matérialise pas quelques fantasmes adolescents à propulser le joueur dans un grand jouet délirant où l’emphase est le maître mot. En offrant de piloter non pas un, ni deux ni trois mais 100 personnages simultanément (en réalité quelques uns dispatchant une gamme de pouvoirs), Wonderful 101 voit tout non en grand, mais sans cesse au-delà. Comme si la seule limite à ce gigantisme était l’imagination seule ; ou la pure coquetterie de ne jamais savoir s’arrêter en alignant à chaque niveau des monstres toujours plus démesurés dans des situations toujours plus invraisemblables. Quand on se lance dans un tel pari, on ne peut aussi éviter l’escalade.
Le problème de Wonderful 101 ne pouvait donc être que de taille. A cette question Asura’s Wrath avait trouvé la réponse idéale : pour assumer le gigantisme, autant limiter le gameplay, et accepter de tout mettre sur la mise en scène. Contre toute attente la réussite était magistrale. Kamiya tient encore au jeu, à conserver des mécaniques plus compliquées, à ce que le joueur soit impliqué dans une structure plus traditionnelle maintenant un certain niveau de difficulté. Inspiré par son propre Okami, il a voulu ainsi marier le beat’em all classique au système de tracés à dessiner afin d’accroître les pouvoirs (la centaine de personnages s’assemblant pour former armes et objets). C’est là que tout se complique : probablement pensé à l’origine pour une utilisation sur l’écran tactile de la Wii U, mais quasi ingérable en l’état (car obligeant un jonglage laborieux), ce système devient progressivement une punition au stick. Conflits d’interprétation des tracés, rythme hachuré du jeu, et surtout faiblesse du concept (contrairement à Okami lui donnant un peu de poésie en invoquant la calligraphie), l’ergonomie devient vite le point noir de Wonderful 101. Si alterner les pouvoirs au gré des combats et ennemis étoffe joliment l’action, leur utilisation transforme parfois l’expérience en calvaire, quand ce ne sont pas la caméras qui jouent avec les nerfs. A force d’excès Kamiya s’est saoulé devant sa propre création, rendant un jeu chaotique et approximatif.
L’humour crétin et toonesque, associé à une réalisation rutilante et une mise en scène too much ne sauve pas plus les meubles, malgré tous les espoirs. Leur répétition permanente donne la gueule de bois. Après dix heures de jeu on sort las d’un énième combat dantesque et l’idiotie des dialogues commence à gonfler grave. Même le dernier des otakus aveugles devrait finir lessivé par ce qui a, parfois, des airs un peu gênant de production locale caricaturée. Si le jeu garde un certain charme jusqu’au-boutiste poussant à, malgré tout, toujours aller voir plus loin, sa gestion d’un spectaculaire finalement forcé s’abîme sur un gameplay mal réglé. Le jeu vidéo japonais n’en ressortira pas forcément plus mal qu’avant. Mais à l’heure où les nouvelles consoles font rugir leur moteur, et où surtout pratiquement aucun jeu nippon ne fait partie des line up, on se dit que Wonderful 101 a peut-être loupé son rôle d’ambassadeur dans la guerre des machines et des territoires. Pas sûr que Bayonetta 2 change la donne. Son exclusivité Wii U prouvant presque que c’est bien chez Nintendo que toute l’archipel semble désormais se concentrer.