Faites le test autour de vous : si beaucoup de joueurs vénèrent Yoshi’s island ou Super Mario world, rares sont ceux qui ont touché de près ou de loin aux aventures de Wario. Pourtant, tout le monde adore le macho moustachu. Invité récurrent des party games et des jeux de sport Nintendo, le trublion en salopette mauve fait partie des mascottes les plus populaires de la marque. Mais voilà… Quinze ans après leur création, les Wario land diffusent malgré eux cette impression de jeux secondaires, de faute de mieux, de pis-aller. On ne va pas crier au scandale, mais les retardataires seraient bien avisés de découvrir cette licence curieuse, qui n’a finalement pas grand-chose à voir avec la plate-forme traditionnelle. Sans être le secret le mieux gardé de Nintendo, les Wario land sont des titres lents et cérébraux, qui sollicitent constamment les capacités d’observation du joueur. Leur game-design délaisse les sempiternelles épreuves de dextérité pour mettre l’accent sur les puzzles et l’exploration. Ce choix est logique pour peu qu’on observe le personnage : Wario est un ogre flemmard qui n’a pas de temps à perdre avec les acrobaties. Ce partisan du moindre effort ne doit sa survie qu’à sa constitution phénoménale, et c’est sa résistance qui est mise à l’honneur à travers cette série de jeux méconnus.
L’aspect le plus frappant des Wario land tient au sentiment de puissance qu’ils procurent. Nous ne sommes pas dans le registre du héros fragile et Wario s’avère beaucoup plus coriace que ses adversaires. Victimes de cet univers renversé, les ennemis défaillants deviennent de simples objets mis à la disposition du joueur. Dans The Shake dimension, ce dernier est libre de les utiliser comme marchepied, de les projeter pour activer des interrupteurs ou de les secouer comme des pruniers pour récupérer des items. Bien sûr, cette dimension fonctionnelle est présente dans la plupart des jeux de plates-formes, mais les Wario land ont su pousser cette logique à l’extrême en faisant passer la mort du joueur au second plan. Beaucoup ont pesté contre la faible durée de vie de cet épisode et les apparences leur donnent raison. C’est vrai, il ne faut pas plus de deux après-midi pour terrasser le boss final de The Shake dimension. Mais même après sa mort, l’aventure continue. Car comme souvent chez Nintendo, tout est affaire d’à-côtés. Le titre multiplie les sidequests avec de nombreux trésors à découvrir, une poignée de niveaux cachés et surtout une tripotée de succès comparables aux achievements de la 360. Doit-on y voir un signe des temps ? Les joueurs adultes ont-ils perdu l’enthousiasme de leur enfance, celle qui les poussait à obtenir les 101% de Donkey Kong country ou les 96 sorties de Super Mario world ? Comment expliquer les remontrances dont Wario fait l’objet, lui qui est tout entier conçu à la gloire des quêtes optionnelles ?
Tout d’abord, en observant leur implémentation. Laissons de côté les trésors et les niveaux cachés : ces éléments participent d’une logique d’exploration classique et ne sauraient expliquer la grogne dont le titre fait l’objet. Le problème de Wario tient à ses succès. Ces achievements à la sauce Wii rallongent considérablement la durée de l’aventure en obligeant le joueur à terminer chaque niveau sous certaines conditions (sans se faire toucher, avec un certain nombre de pièces, en temps limité, etc.). Le problème, c’est que les niveaux de Wario ne changent jamais. Contrairement aux Mario post-64 qui modifient subtilement leur architecture pour installer un sentiment de découverte perpétuelle, les succès de The Shake dimension sont une tentative d’épuisement d’un lieu vidéoludique. On refait, on revient, on revisite chaque décor, et c’est avec ce principe de répétition que Wario commet sa plus grande erreur. Ou plutôt, qu’il accuse son âge. Ne vous y trompez pas : The Shake dimensionest l’expérience la plus old-school qu’il vous sera donné de vivre sur les consoles actuelles. Les développeurs de Good-Feel ont beau tenter de dompter la bête, de faciliter le périple du joueur à coups de checkpoints judicieux, rien n’y fait : passées les épreuves les plus simples, ce Wario land devient rapidement une affaire de spécialistes.
Dans ces conditions, on comprend mieux que beaucoup rechignent à obtenir les 100%. C’est d’autant plus triste que le titre de Good-Feel déborde de qualités. The Shake dimension joue d’un vrai talent pour la dissimulation, cette fameuse culture du secret qui a fait la force de Nintendo. Son esthétique cellulo est irréprochable, ses thèmes musicaux attachants. Sa structure empruntée à Wario land 4 offre de belles séquences de plate-forme pure : après avoir secouru une créature au terme d’un niveau, Wario doit revenir à toute vitesse au point de départ en empruntant une route différente. Chaque élément qui semblait inutile à l’aller prend alors tout son sens et ce double-niveau de lecture s’avère fascinant pour les amoureux du level-design. Mais en définitive, The Shake dimension souffre d’une difficulté paradoxe : trop facile pour les débutants, il aura tôt fait de perdre une bonne partie des pros. Les moins courageux pourront le parcourir d’un oeil distrait. Ils n’en tireront pas grand chose, mais ce sera quand même amusant. Les durs-à-cuire pourront serrer leurs lacets, enfiler leur bandeau et partir à l’aventure le couteau entre les dents. Pas sûr qu’on les revoit de sitôt.