Le jeu vidéo a horreur du vide. Le moindre petit bout d’intrigue laissé en suspens, la moindre fin ouverte, et c’est l’angoisse du néant qui vous prend à la gorge. Ce néant qui s’apprêtait à nous bouffer tout crû à la fin du premier Viewtiful Joe, alors qu’une armada d’aliens impérialistes s’apprêtait à envahir notre belle planète, et qu’il fallait à tout prix remplir. Avec ce qu’on voudra, n’importe quoi, la même histoire, pourquoi pas, au point où on en est… Personne ne s’en rendra compte.
Arrivé face au boss « je-suis-ton-père » final de Viewtiful Joe 2, Joe nous vante les mérites du plot-twist, du retournement de situation final qui prend les tripes. Trop-post-moderne. Il n’a pas honte, Joe. C’est exactement le même que l’épisode précédent. Mais Joe s’en fout, il veut être le nouveau Megaman. Joe veut être aimé, et pas seulement par la critique qui a apprécié son côté branchouille, un peu foufou, à la fois décalé et délicieusement rétro. Joe a le don d’ubiquité, il se décline en anime -sans grand succès-, va faire la pute et partouzer avec Dante sur PlayStation 2, puis se dédouble sur GameCube… puis va refaire la pute sur PlayStation 2. Joe joue désormais les garçons faciles pour rameuter encore plus de monde et prouver à quel point il est génial. Joe ne veut plus baiser avec les hardcore-gamers… ça file des boutons.
Ce bon vieux Captain Blue nous avait prévenu à la fin de Viewtiful Joe 1 : trois menaces successives viendront mettre en péril l’avenir de la Terre. Faisons un rapide calcul : après 1) Blue lui-même, puis 2) l’Empereur Black, il en reste encore une pour un éventuel Viewtiful Joe 3. Ne parlez pas de malheur… Ils ne vont tout de même pas nous refaire le coup du « remake de remake » auto-réflexif et conscient de sa nature de sentai dégénéré ? Désolé, mais ça ne marche plus. Il n’y aurait simplement jamais dû y avoir de Viewtiful Joe 2. En tout cas, pas comme ça, pas aussi feignant, vite fait, mal fait. Viewtiful Joen’a plus d’imagination, ne sait plus quoi inventer. Alors il se répète, mise tout sur les énigmes -pas forcément l’aspect le plus passionnant de l’épisode précédent, et se disperse d’univers en univers, là où Viewtiful Joe 1 faisait preuve d’une belle unité esthétique. Ce n’est plus Viewtiful Joe 2, c’est « Viewtiful Joe : lost levels ». Des levels qui n’avaient peut-être pas été retenus pour le premier opus, mis de côté en attendant un improbable sequel de commande. Joe fait du ski, visite l’Egypte et Jurassic Park, remonte le temps vers le Japon féodal -sans doute le passage le plus réussi du jeu. Joe se retape certains niveaux du premier Viewtiful… Si, ils ont osé. Jusqu’à refaire exactement les mêmes erreurs, notamment ce fameux niveau » compile de boss » qui paraissait déjà abusif dans l’épisode précédent. Plus aucun challenge, ni même de marge de progression digne de ce nom, des boss sans saveurs, une impression constante de déjà-joué. Qu’est-ce qui a bien pu se passer pour qu’on tombe aussi bas ?
Evidemment, il reste Sylvia. La petite amie nymphomane de Joe joue les seconds couteaux, jouable en alternance, seule véritable nouveauté dans un océan de médiocrité syndiquée. Et encore… La présence de Sylvia dans ce second opus est probablement la pire insulte faite aux femmes dans le jeu vidéo depuis… les grosses mamelles bondissantes des bimbos offertes de Dead or alive Xtreme beach volleyball et les poses crypto-lesbiennes de Rumble roses. Pauvre petite Sylvia qui, avec son pistolet ridicule, ne sers pas à grand chose, si ce n’est à résoudre quelques énigmes ou à occuper des boss avec lesquels il ne vaut mieux pas tenter de corps à corps trop fréquents. Pas de doute, c’est bien Joe qui porte la culotte, truste l’écran de ses vaniteuses galipettes, donne la réplique à des bad guys qui s’en branlent. Joe a l’esprit d’entreprise, il défend son jeu comme il peut… même si derrière l’enthousiasme de façade semble transparaître une pointe d’amertume. Joe semble sur le point d’avoir un sérieux coup de blues : les vannes caustiques se font rares, l’auto-célébration narcissique est en perte de vitesse, le coeur n’y est plus. C’est sûr, cette fois, il n’y a vraiment plus de quoi crâner.