Il y a deux sortes d’ambitions dans ce bas-monde vidéoludique. La première, qui consiste à réfléchir à de nouvelles expériences, défricher de nouveaux terrains, ne fait plus tellement recette auprès d’un grand public avide de licences éprouvées. La seconde s’attache à essayer de faire mieux que le voisin. Beaucoup moins louable à première vue, sauf lorsqu’il s’agit de s’attaquer à un monstre sacré, un « intouchable » tel que Metal gear solid. Qu’une équipe de développeurs canadiens cherche à défier un game-guru -surestimé ?- aussi culte que Hideo Kojima sur son propre terrain, ça force le respect. Rien de plus casse-gueule, limite suicidaire, que de vouloir pondre un MGS-killer, même si la série de Konami est plus criticable qu’on pourrait le croire : Kojima, proto-cinéaste mégalo, a tendance à privilégier la forme sur le fond. Impeccable lorsqu’il s’agit de fusionner jap’pop culture et mécanismes hollywoodiens, ou de passer du techno-thriller presque classique aux délires cyber-métaphysiques. De ce point de vue-là, Splinter cell paraît presque trop sobre, trop sérieux -scénar’ politico-guerrier de Clancy oblige. Mais pour le reste, Metal gear solid peut aller se rhabiller : il a trouvé son maître.
Sur fond d’affrontements post-Guerre Froide entre les Etats-Unis tenants du bon droit international et un dictateur géorgien mégalo, l’agent de la NSA Sam Fischer doit infiltrer plusieurs endroits stratégiques pour recueillir un maximum d’informations sur les futurs agissements du Sadam Hussein local. Chaque mission concerne un bâtiment à espionner : commissariat géorgien, plate-forme pétrolière, bureaux de la CIA, ambassade de Chine, etc. Fischer n’a pas toujours le droit d’user et d’abuser de sa « license to kill », autant dire qu’il faut souvent faire preuve d’une discrétion qui atomise les contraintes des phases d’infiltration de Metal gear solid. Une discrétion principalement basée sur de magnifiques effets de clair-obscur. C’est presque anecdotique de le préciser, mais Splinter cell propose les plus belle lumières de l’histoire des jeux vidéo : un parti pris esthétique presque pictural qu’il faudra utiliser à son avantage. Attentifs au moindre mouvement, au moindre bruit, vos adversaires ne vous laissent pas de répit lorsque vous vous décidez de quitter les zones d’ombre salvatrices pour progresser. On pourrait relever quelques incohérences ou bizarreries dans leur comportement, mais leur intelligence artificielle est suffisamment réfléchie pour que le jeu reste jouable sans pour autant sacrifier au minimum syndical de réalisme. Ces petites concessions au réel vidéoludique n’altèrent en rien le challenge, particulièrement élevé. Surtout au cours des missions de pure infiltration, les plus passionnantes… mais aussi les plus ardues.
Le plus bel exploit d’Ubi Soft, c’est d’être parvenu à rendre le concept d’infiltration -concept assez antinomique avec celui de fun immédiat, surtout pour ceux qui sont assez rétif à ce genre de gameplay- synonyme d’immense plaisir vidéoludique. Bardé de gadgets bondiens et d’une impressionnante, mais intuitive, palette de mouvements, Sam Fischer est autrement plus jouissif à manier que son principal concurrent Snake Solid. Moins charismatique mais nettement plus « puriste » dans sa tâche, Fischer, avec son look de Clooney vieillissant, pourrait bien lui dérober son statut de personnage culte. Evidemment, il manque à Splinter cell la direction artistique du jeu d’Hideo Kojima, sa démesure aussi, l’empreinte d’un auteur en quelque sorte. Visuellement somptueux à tous les points de vue, le jeu souffre d’une légère carence de personnalité. Défaut négligeable en regard de l’immense plaisir qu’il procure… En dehors de quelques partis-pris ludiques discutables -système de checkpoints induisant une extrême linéarité-, Splinter cell réussit son pari quasi-kamikaze de s’attaquer à un mythe.