Vincent Guignebert,
J’ai bien lu ton article sur The Warriors dans le dernier Chro’ et je trouve que tu charries. Prenons les choses depuis le début. Tu sembles voir de l’opportunisme dans le fait que les frères Houser exploitent ainsi un film culte des années 70 pour l’adapter en jeu. Réduisant cette acquisition de droit à une simple bonne affaire, genre cheap, genre pas chère. Je trouve ça triste. Franchement, combien de fois es-tu tombé sur des adaptations de films récents ayant autant de valeur qu’un tee-shirt promotionnel ? Personnellement, je ne les compte plus. Jusque dans les années 90 et même au-delà, l’industrie cinématographique s’est toujours servi du jeu pour promouvoir son arrogante domination. Je te sais d’accord avec moi sur ce point. Le cinéma est un grand frère cannibale. Et qui, a de rare exceptions (Passé virtuel de Josef Rusnak, Matrix des frères Wachowski ou encore Avalon de Oshii) n’a jamais compris, encore moins aidé, la cause et l’enjeu du jeu vidéo (Paul anderson, Uwe Boll, j’en passe et des pires…). Tu soulignes quand même la démarche à contre courant de Rockstar. Les frères Houser, fans d’un film en acquierent les droits pour en faire un jeu. Dans une interview, Dan Houser raconte même que The Warriors représentait leur vision partagée de New York. Une vision que leur migration là-bas dans les années 90 (Rockstar est un studio anglais à la base) a démentie. Nostalgie du fantasme. Une fois réalisés, les rêves se perdent. Posons cartes sur table : qu’est ce qui manque cruellement aux adaptations de films ? Qu’est-ce qui fait de Silent Hill de GTA ou de Snake Eater des jeux « cinéphiles » ? A la première question, je répondrai que les adaptations de films semblent réalisées par des gens qui ne se sont jamais posés la question : « qu’est-ce que j’aimerais pouvoir faire dans cet univers ? ». Je suis Clark Kent. Des fois, je suis Superman : qu’est ce que je fais de mes journées ? La durée d’un jeu moyen excédant plus de cinq fois celle du film dont il est tiré : qu’est ce que je fais de tout ce temps ? Adapter un film en jeu, c’est un défi à la fidélité. Comme pour un couple : on partage rarement à deux la même notion du temps. Un qui s’emmerde et l’autre qui est malheureux.
Rockstar, dans The Warriors, a fait ce qu’il y avait de mieux à faire. Plutôt que d’étirer le film sur quinze heures, Rockstar en fait un prequel. Une fois encore, il y avait matière à un solide ratage. Mais fidèle et rigoureux, Rockstar a réengagé tous les acteurs (encore vivants) du film de 1979, acquis les droits de toutes les musiques, débauché les graphers de l’époque… En cela, The Warriors le jeu est plus qu’une adaptation mais une re-création dans l’univers du film. Un hommage d’un média à un autre, d’un créateur de jeu à un réalisateur de film. Tu me diras, on peut en dire autant de Enter the matrix (de Shiny et des frères Wachowski) qui, à défaut d’être un bon jeu, répond à des blancs narratifs. Sauf que, si les mecs de Shiny n’ont toujours pas compris le pouvoir d’évocation et les gestes dont les joueurs voulaient se voir dotés dans la matrice, on ne peut pas en dire autant de Rockstar. Le gameplay même de The Warriors transpire l’amour martial des gars de Coney Island. Parce que chez Rockstar, on s’est posé les bonnes questions : que fait une bande à la fin des 70’s pour obtenir de l’argent ? (racket, vol d’autoradio, cambriolage…) ; que fait une bande pour s’assurer du respect des autres bandes ? (gestion du groupe à travers des ordres simples, graphes sur les murs des quartiers visités…) ; que font deux bandes confrontées l’une à l’autre ? Elles se bastonnent. Passons sur la gestion de la caméra, très mauvaise il est vrai, handicapante, parfois, énervante de temps en temps, pour nous concentrer sur la baston en elle-même. Le mélange « gestion des troupes / baston solo » fonctionne bien. L’emploi d’objets est aisé et spectaculaire. Et pour un simple beat, les missions sont assez variées. Oublions deux secondes le film… En l’état, on se trouve devant un très honnête jeu de baston, stylé, violent, varié, long et innovant (dans son genre). Alors oui, les insultes pleuvent… Et la violence du jeu surpasse de loin celle du film. Une trahison ? C’est ce que l’on peut sans doute suspecter… si on omet de comprendre le sens du film de Walter Hill, son kitsch assumé et son souffle épique, sa force politique brutale comme sa légèreté jean-foutre. Le jeu The Warriors contient tout cela, et l’ensemble est uniquement tourné vers le jeu. Alors non ! Cent fois pas d’accord : The Warriors n’est pas un simple copié-collé du film. D’abord parce que le jeu se déroule principalement (au 4/5e) avant les événements décrits dans le film, l’odyssée de Swan et ses potes ne constituant que la fin du jeu. Ensuite, parce que ce sentiment de copié-collé ne prouve qu’une chose : l’absolue fidélité à l’oeuvre originale. Sans tenter de la concurrencer, sans peur de la dénaturer. « Etendre sans se répandre » en somme.
A propos de la question de la cinéphilie dans Metal gear solid, Silent Hill et consorts, qu’on ne s’y trompe pas car il s’agit davantage en réalité d’une cinéphobie. Cinéphobie qui vise à créer de la peur par la mise en situation, par le geste (Silent Hill), qui vise à mettre le joueur au fait de l’inconfort de sa position (Metal gear solid). Deux jeux catastrophes pour le renouvellement du cinéma, tant les brillantes réponses qu’apportent chacun d’eux ne sont pas assimilables pour le commun des réalisateurs. Vice city en revanche est différent : ses clins d’oeils respectueux aux films de genre sont là pour justifier le fait de se sentir cool, voire très wizzz après avoir tronçonné la vieille dame. Vice city est un jeu cinéphile : il récupère et fait briller le cool pour cautionner le glauque, de façon puérile donc innocente. The Warriors n’utilise pas, lui, ce contrechamps parce qu’il est à ce point fidèle au film qu’il n’a besoin d’aucune justification morale, esthétique ou gestuelle extérieure à son univers. Il est à ce point fier de son inspiration qu’il tente même l’impossible : reconstituer la magnifique scène de Swan et Mercy, gênée de sa pauvreté face à deux couples BCBG dans une rame de métro. Bien entendu, l’émotion poignante est absente de ce maladroit « remake ». Mais on s’en contrefout : The Warriors, le jeu, n’est pas un acte de cinéphilie. C’est un chant d’amour barbare, rugueux et fidèle comme un chien d’aveugle à un film unique et oublié de Walter Hill.