Plus qu’une série, Zelda est peut-être avant tout une idée. Ce Zelda idéal, radieux, que les joueurs ont tous en eux. Zelda céleste, évidemment inaccessible, composé fantasmatique de A Link to the past, d’Ocarina of time, de Majora’s mask, hybride des mystères iconiques de The Legend of Zelda et de la sensualité miyazakienne de The Wind waker. Autant dire que Nintendo ne pourra jamais satisfaire les attentes de son public, ce qui n’est après tout que le prix à payer quand on a si régulièrement tutoyé le mythe. Spirit tracks, comme la majorité des épisodes portables, se sait un Zelda mineur. Il reprend la remarquable interface au stylet ainsi que la plus discutable épure de son prédécesseur Phantom hourglass. Le classique overworld est totalement évacué, remplacé par un train qui permet d’aller d’un donjon l’autre sans jamais sortir des rails. Contraintes du jeu portable diront les uns. Trahison, Zelda 3 tourne fort bien sur GBA répliqueront les autres. Le plus sage est peut-être de juger sur pièces, de suivre le jeu où il veut nous mener.
Se faisant, on se surprendra souvent à sourire avec Link. Il y a dans Spirit tracks un émerveillement naïf, les yeux écarquillés, et à vrai dire, même si ludiquement les phases ferroviaires, trop fréquentes et mollassonnes n’ont aucun intérêt, on n’arrive pas à les détester tout à fait. Plaisir vaporeux du chemin de fer, mais peut-être aussi effet Killer7 : quitte à imposer une progression sur rails, autant enlever immédiatement au joueur tout espoir de liberté, et promouvoir la linéarité. Nous sommes donc prêts à suivre Link, dans ses aventures de ravi du tchoutchou, de donjons malins en villages énigmatiques, de la forêt mystérieuse au volcan fuligineux. Tout cela est poli, avec juste ce qu’il faut de surprises et d’énigmes bien pensées pour que ne s’efface pas le vague sourire qui nous effleure les lèvres : les trains arrivent à l’heure en gare d’Hyrule, la mécanique, faute de toujours être inspirée, est bien huilée ; on s’ennuie évidemment un peu, de l’ennui distingué du trainspotter. Peut-être parce que si, pris individuellement, les éléments du jeu fonctionnent, ils manquent cruellement de liant, de nécessité interne. Nintendo peut se payer les plus prometteurs level designers, mais il est plus ardu de trouver une vision assurant la cohérence d’ensemble, Daiki Iwamoto, pourtant un vieux de la vieille, ne parvenant pas à imposer un vrai souffle à l’aventure.
Jeu confortable donc, dispensable mais douillet ; rien de tel pour satisfaire l’envie de se faire un Zelda. Et pour sûr, Spirit tracks martèle sa zeldaïté.Zelda, malheureusement, est un peu comme ces vieilles ladies qui ont vécu longtemps, beaucoup voyagé, et amassé des étagères entières de bibelots, dont elles sont résolument incapables de se débarrasser malgré la poussière.Spirit tracks a son (insupportable) flûtiau, sa princesse éponyme – certes dans un rôle inédit et charmant de guide à la Navi -, son costume de Link et ses rupees, ses petites clefs et ses grosses clefs, babioles entassées et comme sédimentées là… Souvenirs d’une vie bien remplie, ces signes sont malheureusement privés de vitalité, radicalement coupés du réel. Autrefois, un rocher de quelques pixels faisait signe vers le tangible, ouverture possible de la fameuse grotte dans laquelle jouait le jeune Shigeru Miyamoto. Hyrule, ses temples animistes, sa nature tapissée de secrets, signifiaient le réel comme terrain de jeu, évoquaient la béance d’une exploration. A présent, poulets, rochers, brins d’herbe font signe vers les épisodes précédents de la série : signes au second degré. Cela n’est pas en soi rédhibitoire : les surréalistes aventures de Mario et Luigi : voyage au centre de Bowser en sont l’ébouriffant témoin, Nintendo est parfaitement à même maîtriser l’auto-référentialité. Spirit tracks – contrairement à l’imparfait mais baroque et vivifiant Tingle’s Rosy rupeeLand – semble pour sa part incapable de réellement assumer sont statut d’oeuvre décadente, peut-être parce que les développeurs n’ont pas eu le courage de totalement subvertir le modèle. Idéal, réel et mystère tombent ainsi dans la formule, et Zelda passe de la plus haute magie à l’agréable tour de passe-passe.