Comment réouvrir The Last of Us ? A cette question, Naughty Dog n’avait qu’une seule réponse possible : rembobiner. Parce qu’il était plus facile de retrouver les personnages avant qu’on les découvre, ou pendant ; et sans doute aussi pour ne pas savoir, ou pas tout de suite, ce que Joel dira à Ellie, après un dernier dialogue cut et bouleversant. Dans l’attente d’une probable suite, ou pas (la porte est officiellement ouverte), Left Behind vient donc se poser en épisode flash back, pour remonter le temps et plonger dans les souvenirs d’Ellie au moment où celle-ci cherche des soins pour Joel, blessé. En revenant ainsi deux fois en arrière (pour remplir une ellipse et donner vie à la relation entre Ellie et Riley, belle amie seulement évoquée), le jeu redouble son ambition cinématographique. Par un travail de montage inédit et en apparence simple, Left Behind étoffe moins le récit d’origine, qu’il vient prolonger les ambitions de Naughty Dog et la trajectoire de son héroïne. Non pas seulement pour compléter son destin de jeune fille fauchée par la barbarie, mais surtout en donnant une existence, sinon un visage, au hors champ. Et c’est peut-être çe qu’il y a de plus beau dans ce bonus qu’on craignait dispensable (comme ces films dont on ne voudrait pas voir la suite), de reprendre le jeu en binôme de The Last of Us, pour le mener, plus encore, sur le terrain des sentiments. Et donc de la rencontre avec l’autre.
La maturité du jeu vidéo devait en passer par là pour se résoudre sérieusement à véhiculer des émotions moins abstraites qui, pourtant, sont l’ordinaire de la fiction. Mais cette transformation ne se fait pas sans perte ou balbutiements. Ainsi, en se divisant sur deux segments, Left Behind montre à la fois les possibilités et les limites, tout au moins partielles, de cette évolution narrative et cinématographique. D’un côté donc Ellie, traquée par les rôdeurs ou les pillards, doit se faire un chemin pour trouver des médicaments. L’épreuve est rude, le climat hivernal, et le jeu reprend ses mécanismes d’infiltration et d’action, déjà connus, tout juste améliorés brièvement pour interagir avec les deux types d’ennemis simultanément. De l’autre, située avant que l’histoire de The Last of Us ne commence, Ellie retrouve Riley, et l’aventure se résume à de la pure exploration. A un périple sur les ruines du monde et en particulier de l’enfance, l’épisode se concentrant sur la découverte par les adolescentes d’une fête foraine où les jeux du passé remontent à la surface tels des vestiges : manège brisé, photomaton cassé, borne d’arcade éteinte à laquelle on joue par son imagination, en suivant la voix de l’autre (Riley dictant l’action à Ellie), autant d’instants d’une infinie délicatesse, et presque gratuits (très peu d’interactions, tout repose sur la découverte et la complicité), où Naughty Dog montre une sensibilité rare dans le jeu vidéo.
La démonstration est belle, très belle. Elle ne craint pas d’aller vers la pureté, des moments où les personnages se dévoilent avec en arrière plan la double fatalité, de ce monde chaotique où Riley a choisi la voie des Lucioles, et du destin promis à Ellie, que l’on connait déjà et que nous revivons simultanément. Plus encore c’est aussi ce moment volé, qu’on ne peut révéler, et qui, malgré ses airs de tour de force (comme pouvait l’être The Last of Us), touche au bon endroit, et même au bon moment. Difficile de ne pas être ému. Pourtant quelque chose coince, un peu, dans cette volonté trop écrite d’insister sur l’innocence du passé rattrapée par la violence du présent. Trop réfléchi, trop théorisé peut-être, Left Behind souffre, encore, de cet excès de maturité comme gage de sérieux. Rien n’est enlevé à la grâce de certains moments, mais la difficulté à imposer les émotions avec plus de naturel revient, encore. L’articulation un peu forcée des deux segments du jeu est à cette image : l’action, dans le présent, ne sert qu’à justifier l’exploration et la trajectoire du personnage. Elle n’a pas d’autonomie, pas d’intérêt narratif. Et n’apporte rien en terme de jeu, sauf maintenir en haleine, et amener quelques nouveautés bâclées, au mieux tardives. Sa fonction, mais c’est ce qui la rend à la fois passionnante malgré tout, n’existe que comme contre-champ aux moments avec Riley. Là où Uncharted insérait le montage dans le déroulé de l’action, Left Behind introduit le montage parallèle. On pourra objecter que des dizaines de RPG ont joué avec ces structures. Mais aucun n’a su concrètement le mettre en scène en produisant un véritable raccord dans le temps et l’espace. Et c’est certainement là, dans cette idée de raccord (et donc de lien), que la grandeur du jeu réside malgré tout. On peut même s’avancer que c’est là que ce situe tout l’avenir du jeu vidéo.