Il faudra bien, un jour, que les jeux vidéo s’affranchissent de ce satané complexe d’infériorité ressenti face au cinéma : quand on lit, dans un dossier de presse, que les concepteurs d’un jeu ont voulu « gommer les frontières » entre les deux industries, on a limite envie de hurler… Que les jeux vidéos puisent dans le 7e art quelques références ou certains mécanismes scénaristiques, pourquoi pas. Or le plus souvent, la fusion des deux genres n’aboutit qu’à de mornes films interactifs entrecoupés de quelques phases de jeu mollassonnes. Il n’y a pas grand-chose de valable à explorer dans cette voie-là, mais rien à faire, le genre semble vouloir se poser comme le nec plus ultra de l’entertainment next-gen.
Dans la lignée des FFX et autres MGS, The Getaway plonge tête baissée dans le piège du crossover. Surfant sur la mode du « film noir briton », abreuvé de références multiples et de clichés éprouvés, le jeu de la Team Soho était pourtant attendu au tournant. Annoncée avant même que la PS2 ne provoque des émeutes au Megastore des Champs, l’arlésienne de Sony appâtait le chaland à grands renforts d’annonces spectaculaires -« Londres modélisé à la perfection »- et de sommes investies astronomiques. On s’attendait à un Driver-killer, puis, le temps passant, à un GTA-killer… Au final, c’est surtout beaucoup de bruit pour rien.
Plantons rapidement le décor : Charlie Jolson, un parrain vieillissant, fait assassiner la femme de Mark Hammond, ex-taulard rangé des voitures et kidnappe son enfant pour le contraindre à mettre Londres à feu et à sang. Ennemi public malgré lui, Hammond ne peut compter que sur l’aide d’un vieil ami, d’une tueuse professionnelle et surtout de Frank Carter, flic monomaniaque rêvant de coffrer Jolson une bonne fois pour toutes. Incarnant successivement Hammond, puis Carter, le joueur doit mener à bien 24 missions, qui respectent à peu près le même schéma linéaire : longue cinématique, courses-poursuites dans les rues de Londres, phase de shoot/infiltration à pied, puis on recommence. Contrairement à GTA, The Getaway ne propose pas de plages de liberté entre les missions, ni de large éventail de possibilités pour s’acquitter de sa tâche. C’est extrêmement dirigiste, et un peu léger en comparaison de ce que peut offrir la concurrence, mais c’est un type de gameplay qui en vaut bien un autre et qui est malheureusement indissociable de l’angle cinématique qui caractérise le jeu. L’équipe de Team Soho affiche d’ailleurs clairement ses limites en choisissant de privilégier l’immersion cinématographique au détriment du confort minimum de jouabilité. Déjà douteuse lors des phases de conduite -pas de choix de vue, aucune carte ni indication si ce n’est le système de repérage peu pratique induit par les clignotants des véhicules-, cette volonté de ne jamais parasiter la mise en scène du jeu se révèle catastrophique lors des phases de shoot. Là encore, impossible de jauger sa réserve de santé ou de munitions, le lock des ennemis se fait à l’aveuglette, les caméras fixes ne se placent jamais judicieusement, et le maniement du héros est à la fois trop rigide et pas assez précis. Sans parler des bizarreries qui font un peu tâche au sein d’un jeu qui mise sur le réalisme -on peut ici guérir de plusieurs dizaines de balles dans la peau en s’accoudant à un mur !
Difficile dans ces conditions d’accrocher à The Getaway, on avance mollement, sans passion ni dégoût, ne serait-ce que pour se laisser porter par le scénar’ très « adulte » -hémoglobine, nichons et langage ordurier. Sorti plus tôt, le « bijou » de la Team Soho aurait pu faire illusion. Mais avec sa réalisation en demi-teintes -graphismes photoréalistes pas dégueux mais fluidité perfectible et bugs de collision pas piqués des vers-, et face à la doublette GTA3/GTA:VC à laquelle il est impossible de ne pas penser, The Getaway fait bien pâle figure…