Va-t-on enfin réussir à retranscrire sur micro les sensations et le potentiel immersif des JDR sur table ? Pas nouvelle, la question n’a jamais été autant d’actualité à l’heure où les projets, online ou pas, voués à cette ambition pullulent dans les studios. Chez Bioware (Baldur’s gate), réponse en septembre 2002 avec Neverwinter nights ; chez Bethesda Softworks, réponse tout de suite maintenant avec Morrowind, troisième opus de la série The Elder scrolls, attendu comme le messie par les aficionados cela va sans dire. Rappelons que Daggerfall, son prédécesseur, avait déjà converti au genre un paquet de puristes en offrant aux joueurs une liberté d’action et d’évolution jamais égalée jusqu’alors et un respect scrupuleux des règles AD&D.
Dans le fond comme dans la forme, Morrowind n’est pas très éloigné des MMORPG type Everquest ou Dark age of Camelot. Nuance de taille tout de même, le jeu de Bethesda est exclusivement solo et c’est justement ce qui fait tout son intérêt. Le MMORPG pêche par trop de liberté, pour ne pas dire « légèreté » : les concepteurs ont beau intervenir directement dans l’aventure pour y introduire de temps à autre de nouvelles quêtes, l’évolution des univers dépend essentiellement des joueurs, y compris, et parfois surtout, des levellers, Gros Bill et autres énergumènes dont la principale activité consiste à foutre le boxon. De fait, le MMORPG relève davantage pour l’heure du vaste terrain de jeu virtuel et expérimental soit impraticable, soit mortellement ennuyeux. Morrowind, c’est précisément l’inverse. Notons à ce propos que Bethesda Softworks a le grand mérite de savoir tirer leçon de ses déficiences passées. Si Daggerfall avait l’avantage d’offrir une durée de vie quasi infinie en générant aléatoirement des quêtes et des environnements, l’aventure souffrait toutefois d’un manque de cohérence. Un petit côté frivole et léger qu’on ne retrouve plus dans Morrowind. La solution ? Une province pensée, construite et contrôlée de A à Z, soit plus de cinq année de développement pour bâtir un monde jusque dans ces moindres détails. Géographie, faune et flore, cultures, politique, religions, rien n’est plus laissé au hasard. Un univers plus restreint forcément (30 villes à visiter contre 10 000 dans Daggerfall), mais tout de même assez vaste et riche pour y vivre une bonne centaine d’heures -au bas mot- de pur plaisir vidéoludique.
Après l’étape obligatoire et déterminante de la création du personnage -impossible d’échapper aux poncifs habituels du JDR, évidemment-, que l’on effectue dans la cale d’un navire rempli d’esclaves, on entame illico une première mission. Soit livrer un paquet à un personnage clef à Seyda Neen, avant de se voir proposer d’intégrer les rangs des Blades, les services secrets de l’Empire, pour enquêter sur des faits douteux. Petit à petit, au fil des rencontres et des missions accomplies, on a la possibilité de rejoindre plusieurs guildes à la fois et de privilégier ainsi le développement de certaines caractéristiques (force, intelligence, agilité, endurance…) et compétences (acrobatie, alchimie, pickpocket, crochetage de serrure, négoce, éloquence…). Mais surtout de faire grimper son XP pour accroître son niveau et affronter/résoudre ce qui peut paraître au demeurant franchement injouable. Classique certes, sauf que le principe est poussé jusque dans ses derniers retranchements et que le moindre agissement provoque son petit effet (papillon). Sur les PNJs par exemple, chacun d’eux disposant de sa propre mémoire des faits, des discussions. On pourrait conseiller de bichonner sa réputation, mais, bonne nouvelle, les concepteurs ont opté pour un anti-manichéisme absolu. Libre à vous de vous la jouer sauveur de l’humanité ou serviteur du Malin. Plus subtil, et finalement plus intéressant, on préconisera l’entre deux ou plutôt l’adaptation selon les circonstances pourvu qu’elle vous soient favorables. Tout un art… Certes, les faux pas se payent dans Morrowind (au choix, amende à verser aux impériaux ou quelques jours au cachot), mais rien n’est jamais insurmontable ni irréversible.
Bref, une liberté d’action quasi totale et jouissive décuplée grâce à une réalisation haut de gamme. Daggerfall avait marqué les esprit notamment pour sa laideur. Ici, pour peu que l’on possède une config adéquate, on se surprend souvent à progresser sans autre but que de reluquer le décor, la nature -impossible de rester indifférent à la première vision d’une étendue d’eau dont le rendu n’a, de mémoire de joueur, jamais atteint un tel degrés de perfection-, les environs… Sans parler des conditions climatiques, incroyablement réalistes -stupéfiantes tempêtes de sable à Ald’Rhun !- et changeantes selon que l’on soit plus au nord ou au sud, de jour comme de nuit. Chaque ville et village possède sa propre architecture : top de l’originalité pour Sadrith Mora et son style organique décalé puisque les magiciens y développent leurs bâtisses grâce à leurs pouvoirs, et Vivec, incroyable cité lacustre, pour ses édifices impressionnants, ses canaux et ses drapeaux flottant. La méticulosité des concepteurs va jusqu’à suffisamment distinguer les intérieurs sans jamais que l’on puisse se sentir en terrain familier ; bien entendu, appartements, bâtiments, donjons, cavernes sont tous visitables. Saluons également la diversité du bestiaire et des objets à récupérer. Pas toujours facile d’ailleurs de retrouver au moment opportun une potion ou un sort adéquat dans l’inventaire, de fait, toujours plus foisonnant. Un tri régulier s’impose, quitte à parfois devoir se débarrasser d’objets de valeur en les refourguant au marchand du coin.
Beaucoup plus ergonomique mais tout aussi complète et étudiée que celle de Daggerfall, l’interface de Morrowind devrait dorénavant contenter à la fois puristes et néophytes, aussi bien pour l’utilisation des sorts, de l’inventaire, du journal que pour le repérage géographique ou le dialogue avec les personnages rencontrés, activité centrale du jeu pour la bonne résolution des quêtes, cela va sans dire…
Seules fausses notes : l’immobilité des PNJs que l’on retrouve en permanence plantés aux mêmes endroits et les phases de combat, type Die by the sword sans l’aspect gore/démembrement voyez le genre ? A force, malgré tout, on s’y habitue et ces lacunes n’entache curieusement en rien l’intérêt du jeu ni l’implication du joueur, optimale et constante. Bien entendu, Morrowind est l’exemple type du jeu qui vous bouffe la vie. L’immersion est total après seulement une heure de vadrouille sur les terres de Vvardenfell, ce qui implique d’avoir un paquet de temps libre et un entourage plutôt tolérant.
Un must incontournable, sauf pour les allergiques à l’univers AD&D. Pour eux, espérons que les suiveurs -qu’on encourage vivement pour une fois- aient un minimum d’imagination.