Au Japon, le mobile est roi. Son trône, il le doit non seulement à l’effet Galapagos, mais également à une urbanisation démente qui consacre les transports en commun, lieu de jeu par excellence. La démocratisation des smartphones n’est en rien étrangère aux transformations que subit actuellement le marché nippon du jeu vidéo. Petit à petit, les développeurs effrayés par la puissance des consoles de salon se rabattent sur une plateforme rassurante. Couts de développement faibles, parc gigantesque, hardware maitrisable, modèle de consommation épisodique… Là se situe la zone de confort des boites nippones en déficit de confiance.
Pourtant d’aucun aurait espéré que les pionniers qui ont bâti l’âge prospère du jeu japonais ne succombent aux sirènes assourdissantes du snack-game. Le format limite les ambitions. C’est là toute l’histoire de Terra Battle et de son créateur, Hironobu Sakaguchi. Le retour discret mais enthousiaste aux affaires du prophète du J-RPG accouche d’un titre au pire anecdotique, au mieux embryonnaire dans l’attente d’une version console. Car ce que propose Terra Battle pour l’instant, ce n’est ni plus ni moins qu’un jouet sympathique avec lequel on passe le temps dans la salle d’attente chez le médecin.
Sur une grille sont disposées quelques unités parées au combat. D’un mouvement de doigt, on tente de flanquer les unités adverses dans le temps qui nous est imparti, tout en veillant à aligner les unités alliées afin de bénéficier de leur support et en respectant l’ancestral schéma tactique pierre-papier-ciseaux. Terra Battle capture là la moelle du Tactical-RPG, réinterprétation vidéo-ludique du jeu d’échec et du jeu de go. Sans pourtant tenter de recréer l’excitation guerrière ou la complexité savante de ces derniers. La formule est d’une telle pureté, d’une telle simplicité d’exécution et d’une telle accessibilité naïve qu’un inévitable détachement se produit. Terra Battle s’essentialise dans son unique volonté distractive. Chaque carte n’est qu’un rébus sans envergure à résoudre sans passion. Si l’on pouvait s’épargner la résolution en regardant la solution au dos, on le ferait sans hésitation.
Sakaguchi essaie pourtant de nous convaincre que l’implication du joueur est indispensable pour venir à bout du défi Terra Battle. On retrouvera bien le sempiternel recrutement d’unités ou bien l’évolution des jobs pour motiver la progression. Mais c’est bien sûr sans compter sur le modèle free-to-play qui vient plomber l’avancement avec la panoplie complète : grind intempestif indispensable, aires de jeux bornées dans le temps, temps de jeu limité par une barre d’endurance… A moins bien évidemment de passer gentiment à la caisse.
Terra Battle fonctionne donc comme un cruel rappel à la réalité économique du jeu vidéo japonais. Miné par des années de conservatisme aveugle il n’a plus les moyens de ses ambitions – pourtant vantées par Mistwalker. Forcé de se replier sur lui-même et d’investir sans risque, il sillonne dorénavant dans les eaux captives du mobile où la renaissance se fait de moins en moins probable. Comment en vouloir à Sakaguchi ? Lui qui a créé la saga la plus innovante du jeu japonais, maintenant victime consentante d’une industrie qui s’est trop cherchée. De son romantisme médiéval et de son talent de conteur, rien ne reste dans Terra Battle. Seulement quelques lignes çà et là qui simulent un plat scénario. Alors dans l’expectative d’un développement progressif qui lui sera on l’espère favorable et malgré une finition impeccable, Terra Battle n’est pour l’instant qu’une insignifiante goutte dans l’océan mobile, et une étrange parenthèse dans la carrière de Sakaguchi.