Ceux qui ont connu l’heure de gloire des jeux 8 bits rêvaient à l’époque avec impatience des possibilités graphiques des machines du futur. Les graphismes sommaires dissimulaient la promesse de ce à quoi les jeux pourraient un jour ressembler : plus beaux, plus fins, plus réalistes. La moustache de Mario, petit amas de pixels, deviendrait un jour une étincelante bacchante donc chaque poil serait animé un à un. Il est assez cocasse de constater que ce fantasme candide de gamers juvéniles s’est transformé aujourd’hui en une nostalgie rétro : les spectaculaires prouesses visuelles des consoles next-gen n’émerveillent qu’à peine et le pixel art manque aux joueurs mélancoliques, à tel point qu’il revient en force dans les jeux indé. Cette ironie met le jeu vidéo dans une drôle de situation, pris entre deux grandes directions : poursuivre sa quête chimérique de photo-réalisme (éternelle ligne de fuite qu’il s’est tracé de fait en étant tributaire de la technologie), ou bien le repli sur soi. Tappingo pourrait être une parabole de ce repli puisque son principe est de revenir vers les graphismes d’antan pour les ausculter attentivement et les gratter tel un palimpseste. Il joue de la tendance rétro jusqu’à en faire sa matière et accessoirise la première unité de mesure graphique : le pixel, le rendant plus visible que jamais à l’heure où il n’a jamais été aussi microscopique.
Comme dans tout bon puzzle game qui se respecte, le principe du jeu est aussi simple d’accès qu’il est complexe à expliquer. Dans les grandes lignes, il consiste à reconstituer une icône grossièrement constituée de pixels. Ces derniers sont réduits ici à l’état de blocs qu’il faut démultiplier en forme de ligne sur une grille jusqu’à trouver la bonne combinaison pour obtenir le dessin exact. Certes, dit comme ça, on n’y comprend pas grand chose, et le tutoriel n’aide pas tellement plus. Pourtant la prise en main se fait instantanément. C’est ainsi que tous les petits éléments kitsch qui décoraient naguère les vieux jeux de plateforme 2D, tels des cœurs, des pièces, des fruits ou des poissons, sont ici grossis à la loupe pour être explorés d’une nouvelle façon. Un champignon one-up est soudain recyclé en casse-tête que l’on trifouille à coup de stylet. Y figurent également, comme pour mieux souligner le lien rétro, une icône de Gameboy ou des manettes des anciennes consoles Nintendo, signes d’une époque révolue que l’on peut désormais résumer à quelques symboles. Tappingo, sous ses airs de petit jeu qui ne mange pas de pain, avec son gameplay minimaliste et sa musique redondante, crée une sorte de vortex spatio-temporel vers l’infiniment petit, un peu comme si dans un noyau d’atome on découvrait l’origine de l’univers. Il ramène alors le jeu vidéo à sa fonction originelle : faire passer le temps. C’est dans le croisement entre cette ambition très modeste et sa dimension méta que Tappingo exerce sur le joueur un certain pouvoir addictif.