C’est toujours le même problème avec les institutions du jeu vidéo. Elles sont indélogeables, inaltérables. Figées dans le ciment d’une formule qui a fait ses preuves, emprisonnées dans une bulle nostalgique en acier trempé, la critique ne les atteint jamais. Avec Super Smash Bros. for 3DS, Nintendo renoue encore et toujours avec son histoire, animé par la même obsession encyclopédique qui accompagne la série depuis 1999. Objectivation d’un patrimoine inviolable – sous peine d’être taxé de négationniste ludique –, SSB 3DS n’incarne plus la flamboyance et la maitrise d’un éditeur à produire du fun. Il s’agit plutôt d’un portfolio, d’une op marketing déguisée en devoir de mémoire suintant. Le too much est de rigueur. Plus n’est cependant pas toujours mieux. Face à un roster (49 contre 35 dans Brawl) qui étale davantage son insatiabilité répertoire qu’il ne propose une méta game équilibrée (la puissance des Mii est indécente), on reste coi.
La frénésie autoréférentielle de SSB 3DS surpasse en effet de loin celle de Brawl et Melee. Autrefois coffre à jouet ordonné, sagement rangé, aujourd’hui la saga déborde dans un foutoir sans but. L’humilité qui lui permettait alors de bâtir une expérience, de donner du liant à son univers, a disparu. Ne restent que pléthore de modes dont la seule dimension de scoring résume leur vanité. Ici un ersatz sans saveur de l’émissaire subspatial, là des mini-jeux manquant cruellement d’inventivité (jusqu’à repomper Angry Birds sans vergogne ni ambition). On s’essaie à l’un, puis à l’autre. Les soupirs de déception se suivent et se ressemblent. La magie s’est éteinte. Ne subsiste qu’un party-game avare, mécanique et glacial, dès lors inutilement référencé et peu évocateur. Comme un Wario Ware, SSB 3DS s’emballe, zappe à n’en plus finir sur le patrimoine Nintendo jusqu’à en perdre son souffle. Dans son obsession conquérante et monopolistique, la firme de Kyoto a oublié que c’est en racontant l’Histoire que l’on crée du lien, non en l’imposant dans un patchwork sans saveur. Prenant donc, SSB 3DS ne l’est plus dans son mode solo, aussi rachitique que dénué de challenge.
Evidemment, le salut viendra du jeu en groupe. Soutenu par une prise en main (étonnamment) impeccable et la profusion de fonctionnalités multi, SSB 3DS sauve les meubles. Joutes accélérées, nervosité tactique, arènes surprenantes : le setting atmosphérique de Melee est définitivement abandonné. Au profit d’une vivacité de jeu seulement constatable en ligne. Car le cocktail Smash se déride dans l’adversité. La compétition ardue fait jaillir l’élégance brouillonne d’un game-design qui s’actualise sans s’ignorer. Ce n’est de fait que poussé dans ses derniers retranchements que cette mouture laisse entrevoir un potentiel addictif, inexploitable seul. Corolaire inévitable, l’adversaire si proche jadis, devient une figure désincarnée, perdue dans un flux de données. L’ami(e), le frère, la sœur, disparus. Il faudra attendre la version Wii U pour remédier à cette amputation du fun familial qui, avouons-le, constitue l’essence de Super Smash Bros.