A hauteur du jeu vidéo, Mario exerce le plus vieux métier du monde. Il est le Newton de la pomme et le Diderot de l’encyclopédie. Menacé d’effondrement créatif par le poids de son héritage à chaque nouvel épisode, Mario parvient à évoluer en conservant l’excellence formelle de sa lignée. Comment ? Exception faite de la série des Paper Mario, via une construction de niveaux rigoureusement conforme à la grammaire Mario, au risque de radoter. En ce sens, magnifique et ennuyeux à mourir, l’épisode 2D sur DS, New Super Mario Bros, illustrait bien malgré lui les limites de la notion de maîtrise en gamedesign. Un terrain de plate-formes qui vise à ce point la perfection devient une terre prévisible et stérile.
A l’inverse, c’est précisément la première qualité de ce Super Mario galaxy : l’abandon apparent de la volonté de maîtrise. Un atterrissage et quelques pas sur cette deuxième planète tutoriale suffisent presque pour saisir l’étendu du changement. Impossible pourtant de retranscrire cette sensation dérangeante et séminale lorsque le joueur / Mario se retrouve pour la première fois à faire librement le tour de ce qu’il croyait être le haut puis le bas. Les pieds aux murs puis au plafond, en instabilité totale de tout ce qui nous a été inculqué dans un jeu de plate-formes depuis ce premier saut dans Pitfall ou dans Donkey Kong. La fixité de la caméra alors que Mario à la tête en bas, la petitesse de la planète renforcent encore l’intensité du vertige. On se surprend alors à chercher le vide, le trou, cette menace de Game Over autrefois si facilement identifiable. Aujourd’hui déplacé, sournoisement caché et prêt à resurgir au détour d’une planète aux contours trop lisses. Les angles de caméra paraissent parfois négligées (pour un Mario 3D) ou refusent de se mettre à l’endroit dans le seul but de déstabiliser le joueur. De mémoire, on a jamais vu les défauts de cadrage générique des jeux d’action 3D se faire aussi majestueusement détourner et mettre en scène ; être ériger de cette manière, ici, en véritable révolution conceptuelle et physique. Parce que c’est également la notion de level qui est complètement réexaminée. Fini l’immense niveau à « tout faire », blindé d’étoiles, et dont le joueur aura le temps d’user les possibilités et l’unité de lieu en huit « épisodes ». Super Mario galaxy se découpe en ensemble de petite planète dont on ne devine jamais la disposition ni le sens logique. Chacune réserve son petit puzzle, son effet de gravité, son item ou son raccourci caché. A l’inverse de Super Mario sunshine, épisode magistral et complexé, dont chaque niveau était hyper-contextualisé (fête foraine, hôtel balnéaire…), la structure de Super Mario galaxy en planète autonome permet de garder intacte la sensation de surprise permanente. Loin de proposer une progression apéritif, l’enchaînement des astres se savoure comme un cadavre exquis plein d’à-propos. D’ailleurs, plutôt que de parler de planète, il vaudrait mieux parler de Haïku : un bras de mer déchaîné suspendu en plein ciel d’été ; une ballade automnale à dos de vers géant traversant des pommes ; un jardin anglais et labyrinthique en forme de dés. Ou encore franchir un saut d’obstacle sur des soucoupes volantes échappées de Plan 9 from outer space. L’imaginaire déployé par Nintendo est un cabinet de curiosité poétique, joyeux et foisonnant. Certains de ces tableaux, de ses minuscules planètes perdues dans l’immensité froide au sol grisâtre d’où émerge à peine un buisson et une flaque d’eau, s’inscrivent dans la mémoire avec l’intensité de certaines visions de Saint-Exupéry ou de Méliès. Car, paradoxalement, Super Mario galaxy est un épisode vivifiant mais dont le background discret mais formidablement étoffé est porté par une tendre mélancolie. Un sentiment étrange qui traverse de part en part la partition orchestrale et mémorable composée par Koji Kondo. Une bande son qui convoque dans un même élan épique Disney, Star Wars, Miyazaki et Philip Glass. Super Mario galaxy est un petit pas pour l’homme mais un jeu du grand écart. Grand public, à la difficulté progressive et jamais frustrante, il propose aussi dans la quête de ses 20 dernières étoiles une seconde visite des galaxies mettant en lumière une science des niveaux inégalée autant qu’une difficulté hardcore. Ici réside l’optimisme désespéré de cet épisode historique. A mesure que le jeu devient plus exigeant, plus dur, c’est Mario qui courre vers la fin de sa propre enfance.
Que retiendra t-on finalement de ce Super Mario galaxy ? Question idiote. Il faut plutôt se demander ce qu’on oubliera du jeu. Car n’en déplaisent aux gardiens des temples poussiéreux, aux reliquaires du gameplay et autres académiciens de la grammaire mariole que le manque de rigueur (rigor mortis) de ce Super Mario galaxy défrise, on fait le pari que dans 10-15 ans, une génération entière se souviendra de 2007 comme d’une année pourrie et triste mais qui vers sa fin aura connue une trêve. Un moment privilégié que les autres générations lui envieront : des vacances de Noël à la maison à parcourir Super Mario galaxy.