A-t-on vraiment envie de rejouer à Super Mario bros. aujourd’hui ? D’en parler, de bêler l’évidence -« c’est un chef-d’oeuvre »… oui, forcément, oui- comme un mouton ? Nintendo a beau faire le forcing, en ressortant le jeu, tel quel, à l’occasion du lancement du Game Boy Advance SP NES Edition, on éprouve toutes les difficultés du monde à se motiver. Mais cette petite salope de Mario nous aguiche, avec ses petites fesses musclées par des heures d’écrabouillage de goombas intensif et ses moustaches de… de plombier. Ni chaud, ni froid, on introduit la cartouche dans la portable barbouillée comme une Famicom –le trip jusque-boutiste poussé à son paroxysme. Flashback. C’était donc ça, Super Mario bros. ? Ces paysages déserts évoquant des champs de betteraves picards plombés par une bruine automnale. Cette inertie ultra-caricaturale responsable de tant de morts rageuses. Ces huit misérables petits niveaux. Cette difficulté pantagruélique. Ces fameuses warp-zones permettant au joueur rusé de terminer le jeu en moins de deux minutes. Mon pauvre Mario, tu fais vraiment peine à voir. Même pas digne d’un remake. Dommage, la perspective de voir, un jour, un Super Mario bros. in extenso, sans aucun additif vidéoludique, mais relifté en belle 3D bump-mappée, possédait quelque chose d’indubitablement pervers et séduisant. Ne rêvons pas. La première bafouille de Mario est une pièce de musée et n’a plus le moindre sens dans le contexte vidéoludique actuel. Si ce n’est celui de finir en micro-jeu de quelques secondes dans Wario ware. Après tout, Super Mario bros., ce n’est que ça : écraser deux ou trois tortues en prenant bien soin de ne pas déraper vers le premier obstacle venu. Oubliez les deux ou trois items (champi, fleur, étoile) qui servent d’assurance-vie au plombier suicidaire. A ce moment précis, Mario est encore Jumpman, la bouillie de pixels qui saute. Sa légende, elle, est en marche, avant le grand bond en avant Super Mario world.
Alors quel intérêt, outre l’incompréhensible et juteuse opération commerciale mise en chantier par Nintendo ? Celui de faire vivre un jeu, au-delà de son inévitable passage dans les ombrageux réseaux de l’émulation ou de la collectionnite old-school de vieilles consoles pour nerds gâteux. Le jeu vidéo n’a pas les mêmes chances de survie que la littérature ou le cinéma, qui se ressource à chaque nouveau sursaut technologique. Le jeu, lui, est enterré avec la console qui l’a vu naître, comme un esclave de l’Egypte antique accompagnant son maître dans la tombe. Jusqu’à la résurrection, improbable, réservée à une microscopique assemblée d’élus. Tant que Mario continuera d’exister, et tant que Nintendo fera des portables, il trimballera son histoire avec lui. Et tant pis si personne de sensé ne peut humainement supporter de jouer à « ça »… Il faut bien un moyen de contourner cette amnésie cannibale qui réduit le jeu vidéo à un médium de l’instant présent.