Le plus grand jeu de combat fait son retour après dix ans d’absence et c’est un peu comme si on ne l’avait jamais quitté. Partout dans la ville, Ken et Ryu s’affichent en 4×3, les stocks de sticks fondent comme neige au soleil et on se prend à rêver d’années 90, de salles enfumées et de pièces de cinq francs le long du cendar. L’effet SFIV est palpable, mais il n’a rien d’un hasard ou d’un coup de chance. Ce succès, Capcom le doit en partie à une campagne de communication des plus efficaces qui ne cesse de vanter un retour aux valeurs d’antan. « Street fighter IV se veut un descendant direct de Street fighter II ». Cette phrase, on l’a lue, on l’a entendue, le producteur Ono l’a répétée à longueur d’interviews. Seulement qu’est-ce que cela signifie, au juste, jouer à Street fighter II en 2009 ? Ce slogan qu’on nous assène comme une évidence, à quoi fait-il référence ? Au côté nostalgique du titre ? A son atmosphère ? A sa simplicité, peut-être ? Faut-il y voir une manœuvre de la part de Capcom pour rameuter ses ouailles égarées dans la jungle touffue du jeu de combat ? Un peu de tout cela en vérité. Car SFIV cherche avant tout à renouer le dialogue entre les pros et le grand public. Foisonnant autant que didactique, il s’attache à faire passer les subtilités de son système de combat en douceur, comme s’il avait juré de ne laisser personne au bord du chemin.
Il est toujours difficile de se prononcer sur l’accessibilité d’un jeu de combat. N’importe qui peut prendre Sol Badguy dans Guilty Gear et le jouer – très mal – comme le dernier des shotos. A l’inverse, derrière son apparente simplicité, Smash Bros. comporte de nombreuses stratégies et manipulations avancées. Si l’on juge la prise en main sur les seules mécaniques de haut-niveau, alors SFIV est un jeu accessible. Le système est assimilable en une petite demi-heure et même un débutant n’aura aucun soucis à plonger dans le bain. Il faut dire qu’à l’époque de Street fighter III, de nombreux joueurs s’étaient détournés de la licence pour des problèmes d’exécution. L’investissement nécessaire pour obtenir un niveau correct était plus élevé qu’à l’accoutumée et la présence d’un casting largement renouvelé empêchait les joueurs de se reposer sur leurs acquis. Aujourd’hui, Capcom fait l’aumône aux manchots et facilite l’exécution des coups avec un système de raccourcis (deux diagonales et un bouton suffisent par exemple pour sortir un dragon punch). Cette tricherie est de bonne guerre et si elle s’avère bien différente des rénovations en profondeur de HD Remix, le résultat est tout aussi satisfaisant. Dans le même ordre d’idée, les fenêtres de reversal et de cancels sont ici très généreuses et même un joueur de faible niveau n’aura aucun mal à exécuter ces techniques. Bien sûr, une bonne dose d’entraînement est toujours nécessaire pour effectuer les combos les plus complexes mais dans l’ensemble, la souplesse du titre permet de se débrouiller sans être un monstre de dextérité.
Le même constat s’impose du côté des mécaniques. Si SFIV s’inspire largement du troisième épisode (chopes à deux boutons, coups spéciaux renforcés en piochant la barre de Super Coup), Capcom a préféré remplacer le parry – une technique simple et élégante, mais difficile à maîtriser faut de repère visuel – par un nouveau système de Focus Attack. Désormais, en maintenant les deux coups moyens enfoncés, le personnage se concentre pour relâcher un coup puissant : à son niveau maximum, l’attaque est imparable et laisse l’adversaire à la merci d’un enchaînement. Au-delà de sa facilité d’exécution, la première vertu du Focus est sa grande polyvalence. En effet, il peut être utilisé comme une contre-attaque puisqu’il absorbe un coup de l’adversaire et de nombreuses feintes sont réalisables en annulant la concentration par un dash (deux coups en avant ou en arrière). En l’état, on tient là une mécanique complète dont le principe est immédiatement accessible au débutant tout en laissant une bonne marge de découverte et d’improvisation au joueur avancé.
Mais la plus grande concession aux nouveaux venus est sans conteste la barre de Revenge qui augmente à mesure que le personnage encaisse des dégâts. Une fois remplie, le joueur accède à un super coup dévastateur, baptisé Ultra. Si son efficacité et la façon de le placer varient selon les personnages, il n’est pas rare de le voir dévorer la moitié de la barre de vie. Flashy en diable, complètement pompier, l’Ultra est le facteur Dragon ball de cet épisode et les joueurs impressionnables seront toujours ravis de conclure le round sur cette attaque spectaculaire, dont le principe est finalement assez proche du système d’attribution d’objets de Mario kart. L’Ultra favorise le joueur en situation difficile et le récompense pour ses erreurs en lui donnant l’occasion de revenir dans le match. Son apparition va certainement dans le sens d’une ouverture au grand public, mais il influe également le rythme du jeu et bouleverse le déroulement d’un round : un joueur rushdown (au style très agressif) qui impose un pressing aura tendance à faire preuve de prudence lorsque son adversaire a accès à l’Ultra. Pour autant, aucun d’entre eux n’est assez puissant pour détruire l’équilibre du jeu, il suffit donc de connaître leurs propriétés, comme n’importe quel autre coup. A force d’entraînement, on apprend à amadouer l’adversaire, à le forcer à gaspiller son Ultra pour s’offrir une voie royale vers la victoire et cette dynamique, bien qu’inhabituelle, fait partie intégrante de l’expérience Street fighter IV.
Alors, SFIV, nouvelle terre d’accueil des débutants du jeu de combat ? Derrière toutes ces béquilles offertes aux moins doués d’entre nous, que reste-t-il aux hardcores ? Du côté de l’exécution, c’est un peu la déprime. Le jeu comporte énormément de links en 1 frame (des enchaînements au timing très serré) mais il est encore trop tôt pour savoir si leur maîtrise peut déterminer l’issue d’un match. La variante avancée de la Focus Attack, le FADC (un cancel de cancel, pour résumer) nécessite une bonne dextérité mais son utilité demeure sujet à débat, hors de certains cas bien précis (placer un ultra de Ryu ou de Sagat, par exemple). Capcom a tout de même prévu quelques îlots de complexité pour les joueurs les plus talentueux, comme le nouveau personnage de C.Viper, une femme fatale au style en cancel et en pressing extrêmement difficile à maîtriser, mais pour le reste, c’est le grand désert. Le retour des anciennes gloires possède d’ailleurs un effet pervers, car malgré les modifications apportées à leur jeu, on aura parfois le sentiment de pratiquer ses gammes. Reste qu’il est vraiment difficile de se prononcer sur la profondeur d’un titre si peu de temps après sa sortie. Il faudra plusieurs mois pour se forger un avis sur SFIV. D’ici-là, Capcom aura certainement capitalisé sur son succès à grand renfort de DLC ou de versions révisées. On peut en tout cas saluer la solidité du système et l’équilibre général du titre. Pour un premier essai, on a frôlé le sans-faute.
Reste enfin à saluer l’esthétique de cette superproduction. Comme SFII à sa sortie, ce nouvel épisode impressionne par sa réalisation irréprochable. La violence des coups à l’impact, l’excellence de la modélisation et la fluidité impeccable des animations lui confèrent une pêche à mille lieues des autres jeux de combat en 3D. Jouer à SFIV, c’est aussi se rappeler qu’un jeu de combat n’a pas besoin de se prendre au sérieux et on ne manquera jamais d’esquisser un sourire en voyant les yeux des personnages s’écarquiller exagérément au départ d’un Ultra. Bref, SFIV ramène un peu de légèreté et de comédie dans un genre qui louvoie trop souvent entre le métal de mardi-gras et les coquines à gros nichons. SFIV a ce petit quelque chose en plus, cette petite étincelle de magie qui parvient à séduire instantanément. Qu’importe si votre niveau est lamentable, si vous ne sortez les Ultra qu’une fois sur cinq ou si vous ne savez toujours pas faire la différence entre un link et un cancel : vous tomberez instantanément sous le charme de sa bonne humeur communicative. Lorsqu’on oublie d’aller au bistrot, lorsque le reste des jeux n’a plus d’importance, lorsqu’on se cherche des excuses débiles pour continuer à jouer plutôt que d’écrire le test, bref, lorsqu’une bonne partie de votre journée se résume à vous entraîner où à regarder des vidéos de matchs sur YouTube, on est forcé de se rendre à l’évidence : le résultat a su dépasser nos espérances. SFIV possède quelque chose de spécial, un zeste de folie qui n’appartient qu’à lui. Il aura fallu des années de développement et un plan com’ orchestré de main de maître pour rendre à nouveau le jeu de baston sexy en 2009, mais au vu du résultat, on ne peut que s’en féliciter.