Ce nouvel épisode du space opera StarFox démontre, une fois encore, l’une des qualités majeures des studios de Nintendo : parvenir à mettre en oeuvre avec talent des propositions de gameplay quasi expérimentales dans le cadre d’une série de jeux populaires. Ce StarFox tente ainsi un métissage original entre le shoot’em-up 3D et la stratégie en temps réel. Menacée par l’armée du mégalomane Dr Andross, la planète Corneria envoie ses meilleurs pilotes au combat. L’action est représentée sous la forme d’une carte du système solaire. Y sont disposés les planètes, vaisseaux et missiles ennemis, dont le nombre et la nature varient selon le niveau de difficulté (normal, hard ou expert). Ces unités avancent inexorablement vers Corneria, dont les dégâts sont mesurés en pourcentages -à 100, la partie est finie. Pour défendre Corneria, le joueur dispose de deux vaisseaux, à sélectionner parmi une liste de six aux attributs distincts (résistance de l’armure, performance de tir, vitesse…), qu’il s’agit d’avancer sur la carte en réfléchissant aux cibles à toucher prioritairement.
A chaque contact avec l’ennemi, les phases de shoot 3D démarrent. Fluides, exaltantes et assez variées, elles se déploient sur des aires de jeu libres (par opposition à la progression sur rails du premier StarFox sur Super Nintendo) : affrontements dans les airs avec des ennemis aux schémas de déplacement parfois exténuants de rapidité, courses-poursuites avec des missiles, arrivée inopinée de bosses ou d’adversaires membres d’une équipe d’élite, libération de la station satellite qui protège Corneria. Il est même régulièrement possible de transformer l’Airwing en robot terrestre pour parcourir une petite planète et pénétrer dans une base ennemie. Le gameplay intègre alors des éléments (extrêmement basiques et succincts, mais stimulants) de jeu de plate-forme, d’exploration et d’action à la première personne : bateau mobile sur lequel il faut atterrir pour activer un bouton ouvrant une porte, mini-labyrinthes, esquives latérales…
En toutes circonstances, le reste du jeu continue à vivre et à évoluer : il n’est pas rare d’être informé, en plein milieu d’une phase de shoot 3D, de l’attaque simultanée de Corneria par un vaisseau-mère qui commence à concentrer l’énergie de son canon géant vers la planète. Une façon brillante de susciter le suspense et d’offrir au joueur des choix forts qui l’impliquent totalement : dois-je revenir sur la carte et partir défendre Corneria maintenant, ou persister dans la destruction d’un avant-poste potentiellement crucial pour l’ennemi ? Cette pression constante a une contrepartie : la confusion. En mode hard ou expert, le joueur a tôt fait d’être débordé : la vitesse des ennemis sur la carte est difficile à évaluer, les événements se succèdent trop précipitamment pour autoriser toute stratégie.
Sans être un chef-d’oeuvre, StarFox 2, puisque tel est son nom, constitue donc l’un des jeux les plus avant-gardistes et grisants qu’ait connu la… Super Nintendo. Où se situe le rapport avec le StarFox command qui nous intéresse ici ? Il est simple : ce premier épisode sur DS est un semi-remake du mythique StarFox 2 sus-cité -jamais commercialisé (1), mais dont une version presque finale circule sur le Net(2). StarFox command reprend ainsi l’essentiel des mécaniques de jeu de StarFox 2 (en dehors des phases terrestres en robot, hélas supprimées). Cependant il les développe, les lie davantage les unes aux autres et les adapte efficacement à l’écran tactile de la DS. Surtout, StarFox command encadre le gameplay passablement chaotique de StarFox 2 par plusieurs contraintes bénéfiques. Le plus grand changement réside dans le déroulement global du jeu, qui s’opère ici au tour par tour. Contrairement au temps réel de StarFox 2, le tour par tour permet de prédire avec précision les déplacements sur la carte des unités amies ou ennemies, et confère une grande lisibilité à l’action. Par ailleurs, lors des phases de combat, une limite de temps est imposée -si elle est atteinte, une vie est retirée. Et il suffit d’une collision ennemie avec le vaisseau-mère Great Fox pour entraîner un game over instantané. Constamment sous tension, le joueur doit impérativement apprendre à construire, plusieurs tours à l’avance, des stratégies simples (Command n’est certainement pas le Advance wars du shoot’em-up), et à se battre contre les restrictions du gameplay en exploitant les interactions entre ses différents éléments. Ainsi, lorsque notre vaisseau croise une base alliée ou parvient à faire ricocher des tirs ennemis en tournant sur lui-même, il gagne de précieuses secondes de carburant supplémentaire ; lorsque tous les ennemis d’une zone sont abattus ou que l’item adéquat est collecté, Great Fox peut tirer des missiles pour détruire des ennemis peu éloignés ; chaque base détruite donne deux tours supplémentaires ; certains pilotes sont mieux adaptés que d’autres à la situation…
La construction très scénarisée des missions de StarFox command laisse peu de marge de manoeuvre. Une erreur d’appréciation tactique ou un manque de dextérité peuvent être fatals à très court terme. Associée à ce gameplay intransigeant, la mise en scène minimaliste produit occasionnellement des situations excitantes -comme lorsque notre vaisseau-mère est encerclé, dès le premier tour, par une horde de petits points ennemis que seul un plan de vol méthodique pourra anéantir. Mais quand une mission s’interrompt brutalement alors que la victoire est proche, StarFox command énerve. Les séquences les plus ardues de poursuite avec un missile exigent de traverser successivement des balises de plus en plus écartées les unes des autres, à une vitesse croissante -une tâche aisée avec une croix directionnelle, quelquefois cauchemardesque avec un stylet.
Les velléités narratives du jeu ont peu de chances de motiver les joueurs découragés par cette courbe de difficulté capricieuse. Malgré neuf fins, quinze personnages jouables, des histoires d’amour, de ralliements, de retrouvailles, de sauvetages ou de trahisons, StarFox command ne se donne pas les moyens de ses ambitions : textes et dialogues si mal écrits qu’ils tuent toute émotion, ramifications scénaristiques aux conséquences fréquemment brumeuses, images fixes difformes et criardes qu’on croirait issues d’un site web de fan-art. Quant aux divertissants combats en ligne à quatre joueurs, ils s’avèrent trop simplistes pour captiver durablement.
Que StarFox command figure parmi les titres les plus passionnants de la DS en dit davantage sur la pénurie de très grands titres dont est victime la machine que sur les qualités propres du jeu, que l’on devine sous-exploitées. Les créateurs eux-mêmes regrettent de n’avoir pu inclure toutes les idées qu’ils avaient en tête. Certaines d’entre elles étant probablement déjà présentes dans le StarFox 2 de la Super Nintendo, le reste est réservé à une suite dont on ne peut qu’espérer la sortie.
(1) Jamais un jeu Nintendo de cette importance n’a connu un pareil destin. Prévu pour 1995, StarFox 2 aurait dû accompagner le crépuscule de la triomphale Super Nintendo (49 millions d’exemplaires vendus) et s’imposer, à l’instar du foisonnant Yoshi’s Island, comme un jeu-laboratoire regorgeant d’idées folles et de ponts vers l’ère de la 3D. Il n’en sera rien. Selon son programmeur Dylan Cuthbert, qui a également dirigé StarFox command, StarFox 2 a été annulé « à cause de l’imminente Nintendo 64 qui, bien sûr, devait initialement être lancée beaucoup plus tôt qu’elle ne l’a été. Shigeru Miyamoto voulait une rupture nette entre les jeux 3D de la Super Nintendo et ceux de la nouvelle et supérieure console 64 bits. Rétrospectivement, il aurait pu commercialiser StarFox 2 et une année et demi se serait quand même écoulée avant la sortie de la Nintendo 64 ». D’autres jeux Super Nintendo en 3D ont été annulés, parmi lesquels FX Fighter (créé par Argonaut, les codéveloppeurs anglais de StarFox 1 et 2, et finalement converti sur PC en 1996) et Comanche (une adaptation de la célèbre simulation d’hélico sur PC).
(2) StarFox 2 ressuscite lorsqu’une version quasi finale est dispersée sur le Net. Traduite en anglais et corrigée de tous ses bugs par des fans en 2004, elle permet aux nombreux amoureux de la saga de découvrir, une décennie plus tard, ce titre au parcours et au gameplay absolument uniques.