Retournement de situation un peu surgonflé : l’avantage de Sega sur son (ex)concurrent Sony au niveau des RPGs console ne débute véritablement qu’avec cette sortie providentielle de Skies of Arcadia… Phantasy star online n’étant finalement qu’un hack’n’slash online et Grandia 2 un remake un peu trop appliqué de son prédécesseur 32 bits. Voici donc le premier véritable RPG « classique » next-gen, le premier à profiter plus ou moins pleinement des possibilités de son support, un peu à l’instar de Final fantasy 7 à la grande époque de la PlayStation balbutiante. Attention, pas de grande révolution de forme à prévoir, Skies of Arcadia n’est qu’un RPG solide sur ses bases, qu’un jeu réussi, ce qui est énorme, au vu des calamiteuses productions rôlesques de l’année passée sur nos nouvelles machines -Orphen, Evolution, arrêtons le massacre.
Manifestement, faire un bon RPG n’est donc pas chose facile. La formule magique repose finalement sur un savant équilibre entre deux composants inhérents au genre : l’intrigue, l’ambiance, le fond quoi. Le système de combat et d’évolution des personnages pour la forme. Et c’est sans doute le fond que les développeurs d’Overworks ont le mieux maîtrisé. Le scénario de Skies of Arcadia n’est pas des plus originaux : empire maléfique, ancienne civilisation, cristaux élémentaux, créatures mythologiques apocalyptiques… Il y a comme une odeur de Final fantasy old-school qui persiste. Mais il y a un concept de base, au-delà du festival de clichés, qui repose sur une belle idée poétique : le monde d’Arcadia est un monde céleste, un océan de nuages d’où surnagent des îles et des continents flottant inexplicablement dans l’air. Le héros de l’histoire, Vyse, est un pirate bleu, comprenez un « Robin des airs », qui vole aux riches pour donner aux pauvres. Accompagné d’Aika, sa bonne vieille copine au look Fifi Brindacier, Vyse se retrouve mêlé un peu malgré lui à une quête épique des six pierres lunaires permettant de contrôler les Gigas, monstrueuses machines de guerre ancestrales. Des armes suprêmes convoitées par l’ambitieuse impératrice de Valua, qui compte bien mettre la main sur les mythiques caillasses avant notre pirate en herbe… La belle idée de départ de piraterie céleste autorise les scénaristes à naviguer sur des digressions plus proches de l’esprit de Melville, Defoe, ou de Stevenson, loin des eaux trop usées du sushi-RPG qui se regarde le nombril. Skies of Arcadia se distingue surtout lorsque Vyse est enfin promu capitaine de son propre vaisseau, le Delphinus. Certes, on a déjà piloté des airships dans les RPG console, mais on a jamais vraiment géré son armement, son équipement, recruté son équipage. On se croirait presque revenu au bon vieux temps de Pirates !, le jeu culte de la fin des eighties.
Magistralement réalisé, Skies of Arcadia est surtout le premier RPG immersif. Pas de 3D réelle rabaissée au rang de 3D isométrique, pas de décors précalculés, l’immense monde d’Arcadia vit littéralement sous nos yeux, déjà passablement ébahis par la beauté des décors -un village arboricole luxuriant, une magnifique cité asiatique lacustre, j’en passe. Fortement marqué par la Sega’s touch -couleurs pétantes, ambiance bonne enfant-, il ne manque peut-être au jeu qu’une plus-value artistique à la SquareSoft. Son univers est plus une retranscription onirique de notre géographie réelle qu’une véritable création. N’empêche, le jeu mérite la note maximale ne serait-ce que pour son ambiance.
Hélas, la forme est franchement plus discutable. Le système de combat, notamment, seul domaine dans lequel Grandia 2 surpasse largement Skies of Arcadia. Un classique tour par tour qui ne serait pas vraiment désagréable s’il n’était pas aussi mou du genou. Les personnages et les monstres semblent parfois prendre des pauses interminables avant de balancer la sauce. Définitivement rien à voir avec l’émulation temps réel ultra-dynamique de Grandia 2. Circonstance aggravante, les combats sont aléatoires, un procédé qui commence sérieusement à dater et à agacer, d’autant qu’il n’est plus inévitable -cf. Grandia, SaGa frontier 2, ou Chrono cross. Si la fréquence des agressions reste supportable dans les donjons, dès lors qu’on se retrouve à l’extérieur pour naviguer d’île flottante en île flottante, on frôle la démence pure et simple. Certains passages du jeu en deviennent même particulièrement pénibles à franchir. C’est d’autant plus dommageable que le jeu regorge de quêtes annexes qui viennent briser la linéarité du scénario. Il vous faudra hélas un maximum de sang-froid pour vous y atteler ou une pleine cargaison de calmants, sachant qu’un simple aller-retour sur soi-même peut vous prendre une bonne dizaine de minutes…
Seul atout et originalité, les combats navals. Ils sont tout aussi lents, mais ont au moins l’avantage de ne pas être aléatoires, et d’apporter une petite pincée de stratégie qui tranche avec la monotonie des affrontements « mano a mano ».
Affaibli par un gameplay un peu laborieux, Skies of Arcadia est donc sauvé par son extraordinaire ambiance, sa durée de vie hallucinante, l’immensité enivrante de son univers et sa réalisation irréprochable, qui font pencher in extremis la balance du côté des chefs-d’oeuvre du genre. Il faut être un peu hardcore-gamer dans l’âme pour l’apprécier pleinement, le néophyte risquant parfois la crise de nerf. Même « dangereux pour la santé », Skies of Arcadia gagne les doigts dans le nez le titre de meilleur RPG de l’année sur Dreamcast, voire toutes consoles confondues, en l’absence de concurrents valables.