Faire du bruit dans le landerneau FPS aujourd’hui, s’avère une gageure de taille. Hormis quelques titres à venir (Bulletstorm en tête), les échappatoires conceptuelles pointent difficilement, le genre ne semble souvent promis qu’à une customisation d’un legs de plus en plus ankylosé. Singularity a l’étrange attrait de concéder son classicisme sans en rougir. Activision, en confiant le développement à Raven Software, studio jusque là peu inspiré (les piteux Quake 4 ou Soldier of fortune), choisit une stratégie prudente : préférer le talent d’un moine copiste à la tentation à jouer les Luther d’un ordre nouveau.
Un commando américain, dépêché en mission de reconnaissance, investit l’île de Katorga, jadis théâtre d’expériences militaires soviétiques. Le complexe scientifique, dévasté par une force inconnue, est à l’abandon, et c’est en archéologue impie que l’on franchit les portes d’une Katorga infestée de militaires et autres monstruosités bilieuses. En tombant sur le TMD (gantelet permettant d’altérer l’espace-temps), le héros se voit alors renvoyé en 1950, époque où l’objet fut inventé afin de garantir la suprématie du régime stalinien sur le reste du monde. Par un système de failles temporelles, les allées et venues entre époques seront légions afin de changer le cours de l’Histoire et, bien entendu, rétablir le juste cours des choses : la défaite du Mal soviétique.
Les premières heures d’exposition au soft suintent tristement le déjà-vu. Il y a d’abord cette relance d’une bataille uchronique entre les deux derniers blocs idéologiques de l’Histoire, réserve intarissable de récits apocalyptiques et autres manichéismes fantasmés (Command & conquer : Alerte rouge déjà, où Einstein remontait le temps pour tuer Hitler, mais précipitait l’hégémonie globale du régime soviétique). Plus désagréable : on ressent une volonté assez roublarde à nous rejouer l’extraordinaire introduction de Bioshock. Katorga, Rapture, même combat : deux phalanstères scientifiques qui, punies par péché prométhéen, sont devenues sanctuaire impénétrable. La découverte fébrile d’un décorum désolé, son ambiance mortifère, la disposition d’artefacts (magnétophones, films de propagande d’époque) qui ravivent la mémoire d’une idéologie progressiste devenue folle : chaque sensation renvoie au classique de 2KGames, en moins beau (un comble) et moins dynamique.
Il faudra attendre l’arrivée du fameux gantelet temporel pour que Singularity coupe enfin le cordon maniériste. Plus qu’un simple clone de l’aspirateur gravitationnel d’Half life 2 (autre source mythique vampirisée par le soft), l’arme redynamise un environnement que l’on supposait muséifié. La mêlée classique, basée habituellement sur l’appropriation de l’espace, trouve ici une dimension tactique quasi métaphysique (ralentir le temps pour diriger ses balles, rajeunir ses ennemis jusqu’au néant), trop rare dans ce genre d’exercice. Faire du temps l’arme première du joueur, c’est aussi assurer à Singularity une position subtile : celle d’un musée interactif du FPS, dont chacune des pièces renvoie au souvenir d’un ancêtre classique à revisiter, mais surtout (fantasme geek ultime) à détourner grâce à cette maîtrise démiurgique de l’instant présent.
Se pose alors un constat paradoxal : malgré son atavisme bovin à surfer sur un héritage infaillible, Singularity a aussi l’éclat d’un bel exercice artisanal. Cet art du recyclage de références culturelles, cette application consciencieuse des clichés pop trouve un épanouissement stylé dans les (nombreuses) coquetteries de mise en scène. Plus encore : le joueur, en débarquant dans cet antre du scientisme jusqu’au-boutiste (le temps comme une arme de destruction massive), devient également démiurge d’une Histoire fantasmée, presque fantasque. Décider de l’issue de la Guerre froide, le pari uchronique pouvait s’avérer risqué. Plutôt que de répondre frontalement à la question, Singularity s’en amuse, avec le style jouasse d’une bonne série B.