Un « grand » jeu est-il forcément un « bon » jeu ? C’est sans doute une question que l’on est en droit de poser dès lors que le jeu vidéo s’éloigne des affres de la puberté pour atteindre sa pleine maturité. Une interrogation qui s’imposait déjà avec Shenmue, le plus grand « non-jeu » de tous les temps, et qui viendra sans doute pointer le bout de son nez sur des productions futures de type Metal gear solid 2 ou Final fantasy X -on en reparlera en temps voulu. Exit l’ère 16 bits du « tout-pour-le-gameplay », le concept étant devenu de plus en plus accessoire. Désormais les jeux se doivent de posséder un supplément d’âme, d’offrir une palette riche en sensations et de se poser en manifeste esthétique. Prenons Silent Hill 2. Décortiquons son gameplay. Un peu d’action bancale, maladroite, dont on ne sait pas si, in fine, elle est le fruit d’une intention volontaire ou si les développeurs se sont un peu oubliés. Et des énigmes, trop tordues et tarabiscotés pour être honnêtes, mal épaulées par une interaction avec les objets et les indices beaucoup trop pointilleuse.
Oublions tout net ces émoluments de post-hardcore-gamer en mal de plaisirs vidéoludiques immédiats. Si Silent Hill 2 donne envie de hurler au génie, ce n’est ni à cause de l’évidence de son gameplay -classique et pas toujours bien peaufiné-, ni grâce à son originalité débridée -c’est peu ou proue la même cuisine que l’épisode précédent qui surfait déjà sur la hype Resident evil. Silent Hill 2 est un jeu qui vous absorbe, pour le meilleur et pour le pire, non pas dans un cauchemar pré-mâché à la Capcom, mais dans un trou béant qui, s’il a gagné en efficacité horrifique depuis l’opus 1, ne fait finalement rien d’autre que de titiller le subconscient du gamer maniaco-dépressif. Pas de plaisir d’angoisse sans phobie intime, Silent Hill 2 est un mètre-étalon de claustrophobie. Et l’entêtement désespéré de James Sutherland, le héros du jeu qui poursuit sa chimère, son épouse décédée dans un océan d’immondices et d’obscénités, devient un peu le vôtre : pourquoi continuer à jouer alors que la pression se fait de plus en plus insupportable ? Peut-être pour vérifier de visu que l’inconscient des créateurs est au moins tout aussi névrosé que le vôtre.
Plus proche de l’accomplissement d’un brouillon -mais quel brouillon !- que de la simple suite, Silent Hill 2 utilise le schéma inverse de son illustre prédécesseur. En gros, on commence par la fin mais on visite les mêmes lieux. Pas très grave finalement, puisque 99% du temps, on ne voit pas à deux mètres. Brouillard, obscurité, image « grainée » altèrent la vision d’un univers pourtant magnifique de saloperie. On a beaucoup reproché, ici et là, l’aspect un peu répétitif des décors et des structures, comme si les architectes de Silent Hill étaient atteints d’obsession compulsive. Pourtant, cette impression de tourner en rond renforce la perte des repères, la sensation terrible que les dimensions de l’infâme petite bourgade s’étirent sans fin. D’ailleurs, tous les reproches qu’on serait en droit de jeter à la face de l’équipe de Konami peuvent aisément se trouver une justification frôlant le masochisme. James se déplace et se bat comme un goret ? Raison de plus pour craindre l’affrontement. L’aspect cheap des menus et des graphismes confère de même au jeu une touche très « film d’horreur fauché » diablement efficace.
Chef-d’oeuvre multimédia, au sens strict du terme, sur l’enfermement et la putréfaction, Silent Hill 2 est donc bel et bien un « grand » jeu, déplaisant, désagréable, peu aimable, anti-consensuel. Une auto-psychanalyse par électrochocs dont l’aspect le plus terrifiant est qu’elle se révèle d’une lucidité absolue sur les phobies post mortem. Dans Silent Hill, comme dans la « vraie » vie, on crève et l’on se décompose « alone in the dark ».