Le STR pourra-t-il jamais sortir de sa convalescence ? Avec Blizzard, et son Starcraft 2 atterrant d’immobilisme (« pour les fans », dixit une campagne de com’ fatiguée d’avoir défendu une arlésienne), le doute est justifié : quoi d’autre que le triolisme « récolter / produire / détruire » ? Eugen System, développeur français, avait proposé, avec Act of war, une timide amorce (mais amorce tout de même) vers l’inédit. R.U.S.E, nouveau né du studio, a su créer son buzz en quelques mois, mais aussi l’angoisse d’une nouvelle baudruche. Bonne nouvelle : la saillie des froggies dans le landernau du wargame décape sec.
Il faudra peut être s’affranchir d’une apparence immédiate décevante, comme suintant le classicisme rigide. Située durant la Seconde Guerre Mondiale, l’action cadre sur les grandes batailles des Alliés contre l’Axe en Europe (Italie, France, Allemagne…). Maniaque de précision dans sa reconstitution historique (décors, événements, arsenal), la campagne déploie une véritable allégeance envers un canevas que l’on espérait obsolète. Des airs de déjà-vu circulent : graphiques (Ground control), conceptuels (les ressources à collecter) et thématiques (les Sudden strike, Panzer general et autre Combat mission). Mais la ruse se situe bien dans cette feinte de conformité. Première (excellente) idée : un récit personnel se greffe à l’Histoire, et conte la progression fictive d’un jeune officier aux commandes des opérations américaines. L’arrogance exponentielle du personnage met à nu le méta-dispositif de l’addiction stratégique : l’orgueil croissant devant les conquêtes comme mise en abyme d’une mégalomanie ludique à jouer les chefaillons virtuels. A cette épiphanie se greffe évidemment la désillusion d’une overdose de pouvoir et la rédemption vers l’humilité. Aucun moralisme néanmoins : juste une table rase pour penser à nouveau le rôle de stratège.
Les premières minutes de jeu ébranlent les habitudes formatées : sur une carte immense, le joueur ne contrôle qu’une partie des unités, pendant que d’autres batailles se déroulent autour de lui. Cette immersion, exceptionnelle d’intelligence, place le joueur au milieu d’un chaos dont il n’a qu’une part à jouer. Si la démiurgie en prend un coup, l’implication se voit rehaussée par l’exigence du soft à se mettre au diapason du champ de bataille. Il faut ainsi louer la prouesse technique dont le jeu se targue, moins par son design (assez banal) que sa faculté à jouer des perspectives de combat. Plus qu’un gadget graphique, le zoom micro/macro permet deux mises en scène : entre adrénaline sensorielle (caméra tremblante et son poussé au paroxysme au plus près des unités) et vision de stratège aux airs de maquette sur table, où s’affairent officiers et tacticiens (mise en abyme toujours). La vitalité du softse situe dans cette brillante dualité : proposer la frénésie embedded, tout autant que la polyvalence tactique d’une partie de Risk. Jamais mise en scène guerrière n’aura aussi bien soulevé le décalage entre idée (la carte) et réalité (le territoire).
Malgré ses simplifications ludiques (interface réduite à l’essentiel), le jeu bénéficie d’un arsenal tactique des plus stimulants. Tromper l’ennemi par un silence radio, lui infliger une blitzkrieg (accélérer les unités) ou simuler une invasion (envoi de tanks ou avions fantoches en bois) sont autant de « ruses » (« pouvoirs » dirait-on pour d’autres jeux) révélatrices d’une dimension trop souvent délaissée : la pression psychologique sur l’adversaire. Une victoire potentielle ne se décide plus sur la production stakhanoviste d’unités (le fameux « rush à la Starcraft »), mais sur l’appui psychologique (visibilité, protection) qui leur est conféré. A ce titre, la campagne principale ne semble finalement qu’une introduction au véritable but du jeu : l’émulation des ruses en réseau. Très fourni (une vingtaine de cartes, 5 factions différentes) le multijoueur donne le change à l’escarmouche lambda : préférer la guerre intelligente, quasi algébrique, à la boucherie pyrotechnique, sans perdre à un seul instant la tension psychologique du combat.
Loin d’être un billet d’enrôlement militariste pour fou de guerre en germe, R.U.S.E prône au contraire un recentrement sur la partie et le tout : chaque unité joue dramatiquement (sa perte peut changer le cours d’une partie) un rôle pour la victoire. Fort de cet esprit de synecdoque, R.U.S.E s’impose comme le jeu d’échec en temps réel que l’on attendait éperdument.