Imaginez une comédie policière avec Brad Pitt en gentil geek inculpé par erreur et Angelina Jolie en ex-strip teaseuse au grand cœur, appliquez un filtre graphique lissant effet animation pour adultes, ajoutez des énigmes d’inventaire absurdes, et voilà ! Si la recette vous tente, Runaway : A Twist of fate est parfait : un très sage jeu d’aventure, bien propre sur lui, qui respecte à la lettre les commandements du point’n’click à la papa, tout en visant le joueur occasionnel qui chercherait le glamour hollywoodien. Rien à redire sur la réalisation, les développeurs de Pendulo Studios ont fait très propre, d’ailleurs tout est absolument immaculé dans ce Twist of fate, les cimetières comme les hôpitaux psychiatriques, l’interface comme le récit. C’est sans doute pour cela qu’on s’ennuie ferme.
Le modèle du jeu à la Lucas Arts pèse sur ce Runaway 3 comme une chape de plomb. Examiner les alentours, ramasser tout ce qui traîne sans raison apparente, combiner des objets pour résoudre des énigmes baroques, souvent sans queue ni tête… Si le jeu d’aventure n’est pas aussi mort qu’on le prétend souvent, A Twist of fate n’aide guère ses défenseurs en tombant sans cesse dans les plus vieux travers du genre : ainsi, une des nombreuses étapes pour traduire un manuel suédois consiste à congeler un gant rempli d’eau avant de le transporter dans une urne funéraire. Le cadre assez réaliste ne fait évidemment qu’accentuer l’incongruité de telles contorsions ludiques. Comme les développeurs de Pendulo ne sont pas absolument idiots, ils ont bien compris que les énigmes risquaient de frustrer le joueur. Mais au lieu de s’attaquer au problème et de proposer des situations logiques, ils ont préféré le contourner en intégrant un système permettant de révéler les objets à prendre (afin de limiter la traque du moindre pixel), et surtout un système d’aide bienvenu qui évite au joueur d’aller chercher une solution en ligne. Louable effort, mais on est en droit de trouver cela un peu court.
On serait cependant tout à fait prêt à pardonner un gameplay stagnant, si par ailleurs A Twist of fate nous donnait d’autres raisons de nous enthousiasmer. A dire vrai, beaucoup de jeux d’aventure contemporain de bonne qualité, que ce soit les Sam & Max de Telltales, les Ben & Dan de Zombie Cow ou même les Phoenix Wright ne transportent pas le joueur par leurs innovations formelles. Mais ces trois séries ont en commun une folie douce, qui était déjà l’apanage des jeux Lucas Arts de la belle époque, dont le surréalisme de cartoon se jouait habilement des clichés de la culture populaire. Les développeurs de Runaway 3 vont chercher avec application à doser la folie de leur trop sage produit, sans jamais trouver de solution. Le héros est enfermé dans un asile d’aliénés : délire a priori garanti. Et pourtant, chez Pendulo, être barjo revient à finir ses phrases par « banane », à être un mime dépressif, ou encore à porter un sac en papier sur la tête. Grosse poilade. Peut-être faut-il pudiquement accuser une traduction qui a pourtant, comme le reste, l’air fort compétente, mais la majorité des blagues tombe à plat. C’est peut-être que, si A Twist of fate imite ses modèles en mobilisant des personnages caricaturaux, ceux-ci manquent assez colossalement de finesse, si bien qu’on n’est jamais loin du vulgaire, tout en restant bêtement coincé et propret : un aide-soignant fan de moto et d’Elvis, une voyante hippie, une infirmière acariâtre, petit personnel follement… ennuyeux. Passons sur les deux héros, une cruche en jean moulant et un blondinet à bonnet, il y a plus excitant comme compagnons d’aventure.
Runaway 3 est sans doute un des jeux d’aventure les mieux produits du moment. C’est aussi le plus sage, le plus formaté des point’n’clicks. Il n’y aurait évidemment rien de honteux à se laisser bercer par cet ensemble convenu, un peu comme on regarderait en baillant devant la télé un film hollywoodien, aussi lisse que son casting. Il serait néanmoins malvenu de recommander un produit aussi ennuyeux, dans un genre qui connaît une certaine renaissance : le ludophile attend bien mieux qu’une solide exécution, il demande à être surpris. A Twist of fate ne se manifeste que par son incroyable banalité.